« Rien d’étonnant à ce que nous nous complaisions tous plus ou moins dans la médiocrité car elle nous laisse en repos, nous donnant le sentiment confortable de traiter avec des semblables. »
Œuvre d’une vie, les Maximes et réflexions de Goethe, écrites çà et là sur des bouts de papiers, des brouillons, des feuilles volantes, des manuscrits – on en compte 1390 -, sont une tentative de mettre en adéquation la pensée et la vie.
« Comment arriver à se connaître soi-même ? Jamais par l’observation, uniquement par l’action. Essaie de faire ton devoir et tu sauras aussitôt ce que tu vaux. »
Trop peu excentrique pour notre époque aimant les personnalités flamboyantes, originales, excessives, décadentes, le misanthrope Goethe possède une noble gravité qui effraie le contemporain aimant fraterniser dans l’insignifiance.
On lui doit, rappelle son traducteur et préfacier Pierre Deshusses, cette formule définitive : « Classique est ce qui est sain, romantique est ce qui est malade. »
Il faut peut-être une existence entière pour accéder à la sagesse du classique, repousser les vertiges de l’introspection complaisante pour les tentatives de compréhension fine de l’intégrité morale accordée à l’action.
« Qui peut mettre la fin de sa vie en relation avec son commencement est le plus heureux des hommes. »
Goethe n’écrit pas pour le goût de l’épigramme, pour le plaisir du spectacle du bon mot, mais pour progresser en vérité intérieure.
Conseil aux trop candides : « Le loup affublé d’une peau de mouton est moins dangereux que le mouton affublé d’un quelconque pelage d’emprunt qui le fait passer pour plus simple qu’un agneau. »
A propos de notre degré de civilisation : « Le commerce avec les femmes est l’élément des bonnes mœurs. »
Rester jeune : « On dit : « Il ne va pas tarder à mourir », quand quelqu’un agit à rebours de sa façon d’être. »
Aux toujours sachants : « Le moineau sait-il ce qu’éprouve la cigogne ? »
Pointe : « Si les singes arrivaient à s’ennuyer, ils pourraient être humains. »
De l’insupportable : « Le vieillard perd un des droits de l’homme les plus importants : il n’est plus jugé par ses pairs. »
A Nietzsche, par anticipation : « Il y en a qui donnent des coups de marteau à tort et à travers en croyant chaque fois atteindre le clou fiché dans le mur. »
Rectification : « On a bien mal compris Epicure, ce pauvre bougre, comme moi, qui plaçait l’absence de souffrances au-dessus de tout. »
Bouddhique : « La pureté de la neige est pur mensonge. » / « Même le cheveu le plus fin jette une ombre. »
Barbon : « Il vaut mieux que tu subisses une injustice plutôt que d’avoir un monde sans loi. Que chacun donc se plie à la loi. »
Collapsologue : « Qui ne s’applique pas dès maintenant à un art ou un artisanat n’aura pas la vie facile. Le savoir n’est plus un avantage dans ce monde qui change si vite ; avant même d’avoir pris note de tout, on est déjà perdu. »
Gnostique : « De tous les peuples, les Grecs sont ceux qui ont fait le plus beau rêve de la vie. »
Profond : « Madame Roland, sur l’échafaud, demanda de quoi écrire pour noter les pensées très particulières qui lui venaient sur l’ultime chemin. Dommage qu’on le lui ait refusé ; car à la fin de la vie il vient à l’esprit des pensées jusque-là impensables ; elles sont comme des démons bienheureux qui, lumineux, se posent sur les sommets du passé. »
Classées en catégories le moi et le monde / le savoir et la science / Dieu, nature et religion, on peut lire ces pensées sous la thématique art et littérature :
« Le beau est une manifestation de lois secrètes de la nature qui, sans lui, nous seraient restées éternellement cachées. »
Aux critiques ardents, et passionnés inconscients – citant Rembrandt : « Vous n’êtes pas obligé de renifler mes tableaux, les couleurs ne sont pas bonnes pour la santé. »
A notre époque : « Lorsque je demande à de jeunes peintres allemands, même à ceux qui ont passé un certain temps en Italie, pourquoi ils utilisent des couleurs aussi criardes er rebutantes pour l’œil, notamment dans leurs paysages, et pourquoi ils semblent fuir toute harmonie, ils me répondent crûment et sans détour que c’est ainsi qu’ils voient la nature. »
Et cette réflexion d’ordre anthropologique : « Vrai : tous les rapports des choses. Erreur : uniquement dans l’homme. Rien de vrai en lui si ce n’est qu’il se trompe, qu’il ne parvient pas à trouver son rapport à lui-même, aux autres et aux choses. »
Johann Wolfgang von Goethe, Maximes et réflexions, traduction de l’allemand, annoté et préfacé par Pierre Deshusses, collection dirigée par Lidia Breda, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2022, 136 pages