Le roi des chamois, par Erri De Luca, écrivain, et Andrea Serio, illustrateur

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©Andrea Serio 

« Sa mère avait été abattue par un chasseur. Dans ses narines de petit animal se grava l’odeur de l’homme et de la poudre de fusil. »

La montagne, la solitude, le désir, le conte.

Tels sont les thèmes majeurs de nombreux livres d’Erri De Luca, ainsi Il pesto della farfalla (2009), traduit pour la première fois en français en 2011 sous le titre Le Poids du papillon, repris aujourd’hui dans la nouvelle collection de textes littéraires brefs illustrés des éditions Futuropolis.

Se présentant dans un beau format propice à une lecture ample et à la respiration des mots sur la page, cette œuvre courte condensant le meilleur de la poétique de l’auteur italien est illustrée avec beaucoup de grâce et de noble silence par Andrea Serio.

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©Andrea Serio 

Voici l’histoire d’un chamois orphelin devenu en son espèce le plus puissant de la montagne, un véritable roi, intrépide et brutal.

La mort rôde, les aigles emportent leurs proies, l’homme est un prédateur retors.

« Ce matin de novembre, il se réveilla fatigué et sut que c’était la dernière saison de sa suprématie. Ses cornes allaient se rendre face à celles d’un de ses fils plus résolu. Il avait déjà dû en blesser un au ventre, sans aller plus loin, un qui piaffait. Un d’entre eux répandrait ses boyaux sur l’herbe et il ne serait plus qu’une carcasse vaincue et vidée. Il ne devait pas finir ainsi, mieux valait disparaître cet hiver-là, et qu’on ne le retrouve pas. »

Un roi décline, que le grand chasseur aimerait en sa dernière saison transformer en trophée.

« Ce jour de novembre, il se leva les jambes lourdes, au réveil il sentait déjà le poids d’une fin de journée. Ce fut le soleil qui le poussa à prendre son sac. Son arme était près de son lit depuis la veille, celui qui vit seul doit pouvoir se tenir prêt. Il sortit, le café tout fumant dans la tête. »

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©Andrea Serio 

On le comprend, aura lieu dans les montagnes le combat ultime de l’homme et de l’animal.

C’est aussi le combat de l’écrivain et des mots, le passage au plus juste des idées et des sensations.

Escalader seul des parois impossibles, monter haut, malgré la fatigue, en étant toujours si lourd au fond.

« Un des refuges du roi des chamois se trouvait sous un pin mugho, qu’il avait lui-même creusé de ses cornes et de ses pattes. C’était un talent inconnu du troupeau, qu’il avait acquis pour se cacher. Son espère savait gratter la neige à l’aide des sabots pour chercher un peu d’herbe fanée. Lui avait appris à remuer la terre. »

Il y a du génie et du merveilleux en ce chamois-là.

« Dans chaque espèce, ce sont les solitaires qui tentent de nouvelles expériences. Ils forment un quota expérimental qui va à la dérive. Derrière eux se referme la trace ouverte. »

Ainsi Erri De Luca, l’ancien de Lotta Continua passé à l’écriture ciselée et aux intensités poétiques ?

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©Andrea Serio 

Un homme qui observe les femmes comme il analyse au plus juste la paroi qu’il gravit comme alpiniste : « Un homme qui ne fréquente pas de femme oublie qu’elles ont une volonté supérieure. Un homme ne parvient pas à vouloir autant qu’une femme, il pense à autre chose, il s’interrompt, une femme non. »

Les femmes aux yeux de faucille.

« A la dernière qui venait chez lui, il avait vu faire le geste de rejeter ses cheveux raides derrière son dos. Comme un mouvement d’ennui qui éloigne, mais aussi comme une demande de caresse sur les cheveux. Les femmes font des gestes de coquillage, qui s’ouvre pour expulser comme pour attirer à l’intérieur. »

Lui n’est pas marié, ne cherche pas à séduire, c’est un caillou sur la pente, à prendre ou à laisser.

Dans les Alpes italiennes, un chamois-roi et le roi des chasseurs se rencontreront peut-être, après s’être tant manqués.

Il est facile de flairer un homme, mais pas lui.

« Dans la nature, la tristesse n’existe pas, l’homme écartait la sienne en pensant que le roi des chamois était en train de mourir lui aussi quelque part sans un souffle de tristesse, sa fierté intacte. L’homme essayait d’être capable. Un hiver, il mourrait lui aussi de faim et de froid, sans arriver à allumer un feu. C’était une bonne fin pour les solitaires, une fin de bougie. »

Et puis un jour, on sait qu’il n’y en aura plus d’autre.

Une détonation, un éclair, un fracas.

La bête est étendue.

C’est maintenant la pesée des âmes.

« Mais l’homme ne comprend rien au présent. Le présent était le roi au-dessus de lui. »

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Erri De Luca, Le Poids du papillon, suivi de Visite à un arbre, illustré par Andrea Serio, traduit de l’italien par Danièle Valin, conception et réalisation graphique Didier Gonord, éditeur Alain David, collection La petite littéraire, Futuropolis/Gallimard, 2022, 76 pages

Andrea Serio

Futuropolis

Site Gallimard

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