
« Je ne suis pas artiste, moi je n’ai pas fait l’appareil. L’ingénieur qui a fait l’appareil, c’est lui l’artiste ! »
Le 2 mai 2010, le photographe malien Malick Sidibé (1936-2016), interrogé par Pascal Beausse, était invité à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon.
Son intervention, alors enregistrée, est aujourd’hui publiée, à la façon d’un tapuscrit, dans un volume sobre et court, L’art finira par gagner.
On le lit en une heure, on y repense longtemps, en souriant sans malice.
« La personne a trois faces pour moi : de face, de profil et de dos. C’est pour ça, en 2000, en 1999, j’ai commencé à faire les vues de dos, et je crois que ça a marché quand même. Devant mon studio il y a des gens qui avaient des accidents à regarder une fille, une dame en jupe. Ils regardaient leurs dos et ils oubliaient leur volant. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : le dos intéresse aussi les gens, donc il faut le photographier. »
Fils de paysan, autodidacte, Malick Sidibé commença très tôt à photographier au Brownie Flash la beauté, notamment vestimentaire, et l’envie de s’amuser des jeunes de son pays.
Ayant finalement imposé son nom à l’échelle mondiale, le photographe africain fut le témoin de l’émancipation des mœurs de son peuple.
« Je sais que l’art finira par gagner, déclare-t-il simplement à l’orée de sa communication, c’est sûr. Parce que dans l’art, il n’y a pas de racisme, il n’y a rien. Ta valeur d’artiste t’est toujours donnée que tu sois noir, que tu sois blanc ou que tu sois rouge. »
Devant le public venu l’écouter, Malick Sidibé s’étonne et s’enthousiasme d’un succès et de prix multiples lui ayant permis d’aider financièrement son village situé dans la région de Sikasso.
Portraitiste de studio et réparateur d’appareils photo réputé, Sidibé, qui photographia aussi nombre de moments de danse dans des soirées où il était invité, accompagne par ses images le besoin de reconnaissance d’un peuple possédant alors, précise-t-il, peu de miroirs, et cherchant à être représenté au mieux, avec ses plus beaux habits, mais aussi ses objets les plus importants, ses animaux.
« Dans les années 1975-1976, continue-t-il, j’étais très occupé. Et dans mon métier de photographe je ne pouvais pas dormir cinq heures de temps dans la nuit, jamais. Parce que je quittais le studio à minuit, j’allais développer les films jusqu’à deux heures et demie. Je devais laisser les films dans le bain ou dans le produit, donc j’étais obligé de surveiller les films. Des fois le sommeil commençait à me prendre et je devais dormir. Et après, à 4 heures ou à 6 heures, je me réveillais encore pour faire le tirage, 6 heures du matin. Parce que le studio ouvrait à 8 heures, à 8 heures du matin, donc il fallait que les gens qui n’ont plus de carte d’identité, de passeport, puissent venir retirer les photos d’identité à 8 heures du matin. »
Ayant acquis à la faveur des Rencontres photographiques de Bamako un statut international, Malick Sidibé célèbre d’abord un métier qui est un artisanat, alors que la photographie, de plus en plus vulgarisée, est devenue selon lui – sans plainte – « industrielle ».
« Dans les années 1990, déclare-t-il, j’étais obligé de faire de la couleur, des portraits en couleur, mais on a vu que les photos en couleur ne durent pas. Le soleil les déteint. Mais le noir et blanc ça reste comme l’encre de Chine. C’est pour ça que mes photos sont toujours bien aujourd’hui. »
La misère est partout, certes, mais la photographie se doit de ne surtout pas être misérabiliste, et de montrer au contraire en chacun une dignité bien plus haute que l’assignation aux réalités économiques les plus rudes.
« Moi je partage, conclut-il : tout ce que je gagne, je le partage. Maintenant je vais lui payer un tracteur [il regarde son fils] et pour mon frère deux tracteurs, un camion. (…) l’argent ne rentre pas dans le tombeau. »

Malick Sidibé, L’art finira par gagner, Rotolux Press, 2020, 26 pages
https://www.rotoluxpress.com/catalogue/lart-finira-par-gagner