La Résidence 1+2, l’art et le partage des savoirs, par Philippe Guionie, directeur (1)

©Alice Pallot

A l’occasion de la septième édition de la Résidence 1+2, manifestation dédiée aux rencontres entre la photographie et les sciences ayant lieu sur le territoire toulousain et plus largement en Occitanie, j’ai souhaité interroger quelques-uns des témoins et acteurs majeurs de cette année.

A observer l’enthousiasme de tous, il paraît indubitable que cette nouvelle édition marque une étape importante dans la reconnaissance publique et institutionnelle d’un événement où la mise en commun des intelligences et des sensibilités transdisciplinaires, dans un esprit de générosité et de curiosité mutuelles, est remarquable.

Il y aura donc pendant quatre jours le dit de son directeur, Philippe Guionie, puis ceux de deux des artistes invités, Alice Pallot, Jean Larive, et enfin les propos de de Michel Poivert, historien de la photographie.

La Résidence 1+2, Photographie & Sciences, est une initiative particulièrement ambitieuse, regroupant de nombreux partenaires de la région toulousaine et de l’Occitanie. Avez-vous bâti votre projet en vous inspirant d’autres expériences de ce type, en France, en Europe ou sur le plan international ?

Je pense que l’on construit toujours un projet à l’aune de son propre parcours. En tant que photographe, j’ai participé à plusieurs formats de résidences, l’occasion aussi d’observer et d’en tirer des leçons. Pendant des années aussi, j’ai regardé les modes opératoires de plusieurs formes de création en France et à l’étranger (festivals, résidences, etc.), et pas seulement dans les arts visuels mais dans la musique, les arts vivants… La Résidence 1+2 est le résultat de ces expériences vécues et/ou observées.

Comment, depuis sa création, la Résidence 1+2, dont il s’agit en 2022 de la septième édition, a-t-elle évolué, ou s’est-elle déplacée quant à ses premiers objectifs ? Le ministère de la Culture, en la présence de Fannie Escoulen lors de l’exposition inaugurale à la chapelle des Cordeliers (œuvres de Jean Larive, Alice Pallot et Adrien Basse-Cathalinat) et du colloque que vous avez organisés, a fermement acté l’importance de votre manifestation dans le champ français des festivals photographiques.

Depuis 2016, la Résidence 1+2 à Toulouse est un festival de résidences de création associant la photographie et les sciences. En France, nous sommes à ce jour les seuls à développer annuellement et systématiquement ce format transversal de création avec cette volonté permanente de faire se rencontrer la photographie (sous toutes ses formes) et les sciences (toutes disciplines confondues). En associant la photographie et les sciences, la Résidence 1+2 produit, valorise et promeut aussi une photographie d’auteur en liens étroits avec un patrimoine scientifique exceptionnel sur le territoire.

Quels ont été les moments forts de votre festival depuis 2015 ?

Chaque édition est un moment fort car il représente une étape nouvelle de cette aventure humaine et artistique. Mon petit plaisir personnel est d’être le témoin privilégié de toutes ces connexions et synergies entre photographes et scientifiques. J’observe, j’apprends et mon regard sur le monde évolue un peu plus chaque année. Il est essentiel pour moi que la Résidence 1+2 soit aussi un écrin de convivialités pour toutes celles et ceux qui participent ou traversent ce programme. « L’exigence dans la bonne humeur » est notre leitsmotiv.

En ouvrant les laboratoires de recherches scientifiques aux créateurs, qu’espériez-vous ? Un désenclavement des disciplines ? Une ouverture mutuelle des curiosités ? Un réenchantement réciproque ? Quelles ont été vos meilleures surprises ?

Je pourrais reprendre à mon compte votre terminologie : désenclavement des disciplines, ouverture mutuelle des curiosités, réenchantement réciproque. Je me bats contre les barrières qui fragmentent les disciplines et les modes d’expressions photographiques. La photographie contemporaine souffre de cette classification dépassée où l’on oppose trop souvent les esthétiques entre elles. Toutes les écritures photographiques sont les bienvenues à la Résidence 1+2 à condition qu’elle soit porteuse de sens et assumée en tant que telle.

©Diana Lui

Comment concevez-vous votre rôle de directeur ? J’aimerais vous comparer à un chorégraphe.

J’assume pleinement ce rôle de chorégraphe. D’ailleurs cette terminologie me fait penser au portrait réalisé par l’une de nos premières photographes de renom, Diana Lui. Elle m’avait représenté frontalement dans une gestuelle d’équilibriste ce qui correspond bien à mon rôle au quotidien de directeur. Je sais dire OUI quand je crois à quelque chose, A l’inverse, je sais dire NON aussi, en essayant d’être le plus pédagogue et juste possible. Diriger une résidence telle que la nôtre est un bon poste d’observation d’un territoire, d’une époque, de l’humanité.

Les projets concernant l’anthropocène et la pollution des espaces communs sont-ils aujourd’hui dominants dans les propositions de recherche que vous recevez chaque année ? La problématique de l’eau, entre pollutions, raréfaction et crues, semble notamment centrale.

Chaque année, ce sont les projets proposés par les photographes, soient, via nos appels à candidatures qui font l’objet de jurys associant à part égale des personnalités issues de la photographie et des sciences, soient, via des candidatures spontanées, qui déterminent les thématiques sur lesquelles nous allons réfléchir et produire ensemble. Mais c’est vrai que depuis 2020 et l’arrivée de la pandémie, nous recevons beaucoup de projets sur le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité, les questions environnementales, les enjeux de l’eau… Chaque projet est le marqueur de son époque. Le 1+2 se revendique par ailleurs comme un laboratoire d’idées et une fabrique des possibles. N’est-ce pas aussi la définition idoine d’une résidence de création ?

 Comment envisagez-vous la géométrie et l’économie de votre festival les prochaines années, alors que l’anniversaire de ses dix ans se rapproche ?

J’ai créé la Résidence 1+2 lors d’un premier colloque fondateur fin 2015 au Musée d’art moderne et contemporain Les Abattoirs à Toulouse où j’ai réuni les principaux responsables de programmes de résidences en France. Nous réfléchissons déjà à une rétrospective pour nos dix ans en 2025 autour d’une soixantaine de photographes en autant de résidences.

Pourquoi intitulez-vous cette nouvelle édition, où sont montrés les travaux de Sandrine Elberg, Jean Larive, Alice Pallot, Adrien Basse-Cathalinat, et bientôt ceux de Guillaume Herbaut et Grégoire Eloy « l’année des Factory » ?

La Résidence 1+2 se construit toute l’année autour de plusieurs formats concomitants de résidences dont un trio associant trois photographes (1 photographe de renom sur invitation + 2 photographes émergent·e·s via un appel à candidatures) pour une résidence de deux mois. Durant ce temps, les photographes vivent ensemble et créent une œuvre personnelle et inédite. 2022 est en effet l’année des Factory ! Pour cette septième édition, nous avons choisi d’expérimenter un nouveau calendrier annuel en accompagnant plusieurs projets spécifiques et ciblés, portés par des photographes d’horizons, de générations et de pratiques différentes : Sandrine Elberg, Jean Larive, Alice Pallot, Adrien Basse-Cathalinat, Marine Lanier, Guillaume Herbaut, Grégoire Eloy. Chacun·e participe de cette hybridation des champs de la connaissance. Soutenu·e·s dans leurs recherches par des institutions et des scientifiques inscrits sur le territoire métropolitain, départemental et régional, ils·elles nous offrent leurs subjectivités respectives sur des surfaces sensibles multiples et renouvelées – photographies, vidéos, enregistrements sonores, écritures, installations – selon une relecture assumée du réel. L’édition # 2023 sera à nouveau composé autour d’un nouveau trio associant Almudena Romero, Teo Becher et Marion Ellena.

©Jean Larive

Depuis quatre ans, la délégation CNRS Occitanie-Ouest vous a rejoint. Comment travaillez-vous ensemble, ainsi qu’avec l’Université fédérale de Toulouse-Pyrénées ? Vous collaborez avec un nombre impressionnant de partenaires.

Les sciences n’ont jamais été autant au centre du débat public. Les scientifiques analysent, cherchent, comparent, éditent des articles et des rapports. Bref, ils sont en première ligne. Nos photographes en résidence sont souvent les témoins privilégiés de leurs questionnements contemporains et apportent leurs regards distanciés et novateurs. C’est dans ce sillon sensible et créatif que s’inscrit depuis 2016 toutes les actions de la Résidence 1+2 : créer sur des territoires de proximité des contenus visuels inédits afin d’interroger des enjeux plus universels. Dès les origines, la photographie dialogue avec les sciences. Photographes et scientifiques ont la volonté commune de redonner du sens au visible ou à l’invisible et donc de construire des formes interprétatives nouvelles. Ils parlent à égalité dans le 1+2. Associer la photographie aux sciences, à toutes les sciences, c’est créer une chaîne de transmission vertueuse des savoirs et des pratiques : faire ensemble dans le respect des identités des uns et des autres.

Les artistes sélectionnés viennent-ils généralement avec une idée précise de partenariat scientifique, ou mettez-vous en lien photographes et laboratoires de recherches en fonction des projets proposés ? Comment se créent les duos ?

La Résidence 1+2 a pour ambition de faire se rencontrer des personnes qui a priori n’avaient aucune chance de dialoguer ensemble. On me dit souvent que je suis doué pour créer les connections entre les personnes et j’avoue modestement que j’aime faire cela. Depuis plusieurs années, nous sommes en liens étroits avec le CNRS Occitanie Ouest qui facilitent les connections de nos résident·e·s avec les scientifiques et les laboratoires de recherches. Les relations entre photographes et scientifiques vont de la simple rencontre avec échanges de connaissances et d’expertises à de véritables co-productions même s’il s’agit toujours d’un projet éminemment photographique.

Michel Poivert, dont le livre Contre-culture dans la photographie contemporaine est paru en octobre chez Textuel, est choisi cette année comme parrain de la manifestation. Comment envisagez-vous ce rôle de parrain ?

En fait, nous avons chaque année un duo de parrain(s) ou de marraine(s), afin de respecter la double identité de notre programme de résidences, avec d’un côté, les sciences et de l’autre, la photographie.

Catherine Jeandel est notre marraine d’honneur depuis 2020. Océanographe géochimiste, elle est aussi directrice de recherche au CNRS. Elle travaille au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), où elle étudie la géochimie marine pour comprendre les mécanismes qui déterminent le fonctionnement de l’océan, en particulier les interactions continents-océans.

Lors de notre 8ème colloque national “Photographie & Sciences” #2022 au Muséum de Toulouse, Michel Poivert, professeur d’histoire de l’art à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, et parrain de la Résidence 1+2 #2022 a symboliquement passé le témoin à Emilia Genuardi, co-fondatrice et directrice de a ppr och e Paris, nouvelle marraine de la Résidence 1+2 #2023. Emilia est spécialiste de la photographie contemporaine, curatrice, et consultante pour les maisons de vente.

Le rôle du parrain ou de la marraine évolue en fonction des profils des photographes. Il s’agit de les écouter dans leurs projets respectifs, de les accompagner au fil d’un débat d’idées vers la forme finale de leur création, de réfléchir avec eux aux techniques photographiques envisagées et à la future scénographie, d’écrire un texte général sur l’ensemble de l’édition en cours, de vivre aussi des moments partagés lors de séminaires de travail à Toulouse où la convivialité est toujours de rigueur.

Comment la Résidence 1+2 a-t-elle vécu la période du confinement ?

Nous n’avons jamais interrompu les productions en résidence malgré la pandémie et les différents confinements, mais nous avons dû nous adapter, les photographes en repensant parfois leurs projets, la structure en impulsant aussi de nouvelles dynamiques sur les territoires.

©Sandrine Elberg

Lors des journées inaugurales de votre dernière édition, le public n’a jamais été aussi nombreux, témoignant d’une grande attention envers les propos scientifiques et les travaux artistiques. Le temps de l’interdisciplinarité et de la non-séparation entre les domaines du vivant et du sensible, cher notamment à Bruno Latour, est-il désormais selon vous un enjeu politique, citoyen et esthétique à la fois majeur et évident, particulièrement pour la jeunesse ?

En créant la Résidence 1+2, j’essaie chaque année de créer les conditions idoines pour que l’interdisciplinarité et de la non-séparation entre les domaines du vivant et du sensible, comme l’a très bien écrit Bruno Latour, soient créatrices de contenus à caractère politique, citoyen et esthétique. Nous avons un public d’une grande diversité où les jeunesses issues d’horizons différents (artistiques, scientifiques etc.) se croisent et s’entremêlent. C’est essentiel pour nous. Nous créons des contenus visuels inédits en mode circuit court, avec un fort ancrage local et régional pour tenter de répondre à des questions contemporaines qui dépassent largement les frontières de Toulouse et de l’Occitanie. À une époque où les frontières s’effritent entre toutes les disciplines, réunir dans un même projet photographes et scientifiques, c’est les inviter à unir leurs forces, à impulser de nouvelles transversalités, à renouveler les formes créatives pour nous aider, ensemble, à mieux comprendre et agir face aux enjeux du monde contemporain. C’est aussi interpeller chaque citoyen et construire avec lui de nouvelles réflexions pour de nouvelles pratiques.

Propos recueillis par Fabien Ribery

https://www.1plus2.fr/

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