
©Anne-Lise Broyer
« le lent / dépôt / par quoi / quelque chose / de l’unité / du ciel / se désenchevêtre « (Emmanuel Laugier)
Anne-Lise Broyer est une artiste qui depuis plus de trente ans imagine un chemin de beauté et d’effroi entre photographie et littérature.
Il ne s’agit pas pour la lauréate du Prix Niepce Gens d’images 2024 d’illustrer telle ou telle page, ou tel ou tel livre, mais d’entrer, avec la puissance des mots – lus et retenus – des plus grands auteurs (Pierre Michon, Georges Bataille, André S. Labarthe, Marguerite Duras, Arthur Rimbaud, Gustave Flaubert, Henri Michaux, Pierre Alferi, Denis Roche, Colette Fellous, Yannick Haenel), dans le foyer même de ce qui fonde l’existence poétique.

©Anne-Lise Broyer
Par le tranchant de ses visions, élégantes, étranges, radicales, nourries de l’énergétique du verbe et des scènes devenues objets de fantasme, Anne-Lise Broyer déchire les conventions sociales, ou plutôt se situe dans un ailleurs ne devant rien aux turpitudes des arrangements quotidiens.
Edité comme un livre de littérature relié à l’ancienne, La couleur vient après rassemble plus d’une centaine d’images associées d’abord à ces précédents ouvrages.
Cet opus formant une sorte de bilan se lit comme une œuvre ouverte, le continent dérivant des photographies étant accompagné de poèmes d’Emmanuel Laugier, et d’un texte de nature analytique de Sally Bonn situé en postface.

©Anne-Lise Broyer
Le corpus d’Anne-Lise Broyer est composé de maisons hantées et de plaines embrumées, de silhouettes énigmatiques et de situations d’inquiétante étrangeté.
On ouvre des portes, on se perd, on passe par des fenêtres, les arbres semblent vouloir nous parler.
La nature naturante possède un langage secret, dont nous ne percevons que le murmure indéchiffrable.
Quels secrets se cachent derrière les tentures, dans le ventre de la conque, au-delà du mur d’une vaste propriété ?

©Anne-Lise Broyer
La nuque se creuse, c’est celle d’un écrivain.
Dieu est là, mais sa croix est incomplète.
Un enfant dort, inventant peut-être dans ses rêves le livre de sa mère.
Un vieux manuscrit s’ouvre, dont il sort deux corbeaux.
Un cinéaste de notre temps génial a laissé son chapeau et son manteau sur le dos d’un fauteuil. Où est-il parti ?
Les miroirs ne sont pas brisés, mais leur opacité invite à l’introspection.
Une peinture se craquelle, c’est le buste d’une jeune femme, c’est un autoportrait de jeunesse.
On s’avance dans la forêt de Marly, on entend respirer les bois, il faudrait penser à filmer tout ça.

©Anne-Lise Broyer
Le temps use la mémoire, il reste des objets, des traces, un personnage dont on se demande s’il rentre sur scène, ou s’il en sort.
Il n’y a pas de véritable distinction chez Anne-Lise Broyer entre la mer, les végétaux, les humains, leurs artefacts, et la substance des songes.
Attention portée à la géométrie, à la façon dont les surfaces se rencontrent et dialoguent, aux nuances de gris et aux couleurs quelque peu passées.
Un piano s’est mis à jouer tout seul, le conte s’appelle paysages de mélancolie, gravité existentielle, théâtre des représentations multiples.
Page blanche.
Verre vide.
Rais de lumière.
Œil enfoui, désenfoui, excavé.
Emmanuel Laugier se souvient de Mallarmé : « ainsi que tas de bois / morts craquants / voisinant aussi / dans quoi / l’étendue / n’en sait rien »

©Anne-Lise Broyer
Un petit garçon parcourt La couleur vient après, il a la grâce des anges, et la solennité des tragédiens.
Sally Bonn conclut ainsi son texte : « Depuis la fente ouverte de l’image où se tient l’œil de l’esprit, Anne-Lise Broyer explore l’étendue obscure du réel et du désir. »
La photographie, comme obscur objet du désir, ce n’est pas faux, puisque tout nous est généralement voilé, et qu’il faut l’instance aiguë d’une œuvre de nécessité pour ne pas mourir tout à fait aveugle.

Anne-Lise Broyer, La couleur vient après, textes Emmanuel Laugier, Sally Bonn, coordination éditoriale Marine Morin et Eric Cez, relecture Claire Lemoine, interprétation des négatifs Chloé & Guillaume Geneste, conception graphique Line Célo, photogravure Les Artisans du regard, Jeu de Paume / Editions Loco, 2025, 208 pages
https://www.editionsloco.com/livre/la-couleur-vient-apres/
https://www.annelisebroyer.com/
Exposition En allant au paysage, Galerie Parallax (Aix-en-Provence), du 6 septembre au 4 octobre 2025 – exposition et événements dans le cadre de l’année Cézanne 2025
Vernissage en présence de l’artiste le samedi 6 septembre 18h
Vendredi 3 octobre, de 19h30 à 21h : lecture musicale/rencontre avec Marie-Hélène Lafon, Colin Lemoine et Jimmy Boury, Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence)
Samedi 4 octobre, de 15h à 17h, visite guidée – sur réservation – de l’exposition par l’artiste
Samedi 4 octobre, de 19h30 à 21h, rencontre autour de Cézanne, discussion Marie-Hélène Lafon/Anne-Lise Broyer, Musée Granet (Aix-en-Provence)
