
Des hommes, femmes, et enfants, de dos, en habits traditionnels ou non, les cheveux couverts ou non, regardent la mer, très bleue, l’autre côté du monde.
Ils attendent, espèrent, pleurent, comment savoir ?
Nous sommes vraisemblablement dans un pays du Maghreb, où le soleil ne suffit pas pleinement au bonheur.

Nous ne voyons pas leur visage, mais l’horizon de la mer coupant chacun à l’endroit du buste.
Voici des êtres debout, dignes, dressés sur le sol caillouteux, le sable, des pierres. On pense à l’exil, aux blessures, à ceux qui sont partis, à ceux qui manquent, à ceux qu’on ne reverra plus, à cette Méditerranée qui est frange, lien et engloutissement, à la vaste Atlantique aussi.
Les images construites par Marco Barbon sont d’une profonde douceur, délicatement composées de lignes et de couleurs. Pourtant, c’est souvent de la violence que l’on ressent, et beaucoup de peine.

Il y a sûrement de l’ennui, de la désespérance, des projets pleins les yeux chez ces immobiles, des paroles retenues, étouffées, informulées, comment savoir ?
L’instant est suspendu, métaphysiquement palpable, comme dans une toile de Giorgio de Chirico.
La mer (el bahr en arabe) se fait miroir de l’âme, espace de méditation, reflet, monologue intérieur.

Elle est, seuil ou barrière infranchissable, rêverie et menace, une compagne qui nous borde.
Nous croyons que nous la regardons, mais c’est elle qui nous contemple, lasse, indifférente, minérale, parfois ogresse.

Combien sont-ils à chaque jour s’abîmer ainsi dans l’infini ?
Marco Barbon photographie des arrêts, des stases. Le systématisme de la série, le jeu de variantes qu’elle induit, lui permet de montrer ce que généralement nous manquons, le Temps comme une étoffe moirée, un drapé mélancolique, une scène de théâtre, où le quatrième mur est une étendue liquide.
Marco Barbon, El Bahr, texte de Denis de Casabianca, Filigranes éditions, 2016, 48p