Histoire souterraine, d’Amaury da Cunha, est un diptyque.
Premier battant : un roman, publié aux éditions du Rouergue. Des chapitres courts, des silences, des fantômes.
Deuxième battant : HS, publié par les éditions Filigranes, en grand format et avec une impression de papier journal, une série de dix-huit photographies, tels des échos indirects, une autre façon de se voyager dans l’espace et le temps.
Le tout est une histoire d’images, de survivance, d’instants précipités en statues de phrases et de plans colorés.
L’incipit invente un passage entre la vie et la mort : « En entrant dans la rame du métro de la Ligne 14, la porte se referme brutalement sur mon pied, une partie de mon corps est dans le compartiment, l’autre sur le quai. Des voyageurs affolés viennent à mon secours en me tirant pour me faire entrer de force (j’ai l’impression d’être une bête de ferme) tandis que me revient au même moment un atroce fait divers relaté récemment dans un journal : un type s’est d’abord fait coincer comme moi par la porte d’un métro, il est tombé brutalement sur les rails avant de se faire traîner sur plus de cinq cents mètres, électrocuté et broyé par la machine. »
Brassée de mots jetés en un seul souffle, une seule phrase.
Qui n’a pas connu l’intervalle n’a aucune chance de traverser les apparences.
Dans le métro, on chuchote, consternés, effrayés.
Commentaire du narrateur : « Les Français sont des gens gênés et je n’ai jamais pu comprendre si ce sont des lâches, ou des gens bêtement pudiques. En tout cas, ils ne veulent pas d’histoires. »
Dans le métro, une jolie fille, ange descendu aux enfers, vous regarde avec émotion.
Il faudrait quelquefois pouvoir fuguer de sa propre vie, se retrouver en Normandie avec quelques rescapés de la nuit parisienne, pour y découvrir avec eux l’exposition de photographies d’une de nos amies chères, ou ne rien faire.
Il faudrait plus souvent se réveiller de sa propre vie. C’est pour cela que l’on écrit, fait du théâtre, invente de la musique, ou danse.
A l’instant de la mort, le narrateur rêve, d’un amour défunt à Syracuse, de son enfance, du suicide de son frère en juillet 2009, du haut d’une tour à Singapour.
Les récits se multiplient alors, entre faits divers sordides et histoires d’amour impossibles.
« Quand je tombe amoureux je voudrais que mon existence bascule dans celle de l’autre pour m’en débarrasser. »
L’état de guerre est permanent, et les corps sont maladroits, qui préfèrent se quitter ou se battre, par peur, plutôt que de se fondre, ou se jeter dans le vide.
Définition de RAPTUS au cœur du livre : « Impulsion violente et soudaine pouvant conduire un sujet délirant à commettre un acte grave (homicide, suicide, mutilation). »
La littérature, la photographie diront la beauté de la mort, lui donneront paroles et visages.
Comme dans Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, Amaury da Cunha dîne avec des spectres, qui bientôt peut-être, lors de la grande résurrection des images, se matérialiseront en êtres de chair.
Entrelaçant les motifs (la mort atroce d’Antoine dans le métro, celle de Charles en Asie, un voyage à Cherbourg, l’idylle clandestine et torride en Sicile, un bar de la Butte-aux-Cailles, à Paris), le narrateur d’Histoire souterraine tente de comprendre quelque chose à ce que peut être la trame de son existence, ses ratés, ses vertiges, l’écho des drames en lui.
« A Singapour, Charles est mort, car il ne trouvait plus d’images dans lesquelles trouver refuge. Aucune image qui aurait pu lui offrir un sursaut de vie. Il est parti tout seul, face à la mer de Chine. Quelques mois après, j’ai vu qu’il avait cherché à me joindre sur Skype, trois heures avant son suicide, pendant que je dormais. Qu’aurait-il voulu me dire ? Qu’aurais-je pu entendre ? Ses secrets me fascinent, l’honorent, me tuent. »
Dans son texte de mystère et de haute sensibilité, Amaury da Cunha ne joue pas au grand écrivain, préfère le don direct et la simplicité des notations griffonnées au comptoir, c’est reposant, et ne dessert en rien le trouble émanant d’un livre composé du bout des doigts, du bout des lèvres, du bout de la mémoire, comme une façon de plonger dans les ténèbres, l’air de rien, et sans s’y abandonner.
Les lumières bleues empêchent-elles les gens de se suicider ?
Les images que l’on sculpte dans la nuit sont-elles « des petits sparadraps sur des plaies » ?
Amaury da Cunha, Histoire souterraine, Editions du Rouergue, 2017, 128p
Amaury da Cunha, HS, images d’une histoire souterraine, Filigranes Editions, 2017, 28p
Amaury da Cunha, Demeure encore, exposition à la galerie Confluence (Nantes) – du 3 mars au 8 avril 2017
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Intéressant, mais sombre , sombre……
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