
Glamour est un essai de Dominique Païni accompagné des photographies de son ami Bernard Plossu, pour qui l’ex-directeur de la Cinémathèque française a écrit deux très beaux textes, Le cinéma fixe ? (Filigranes Editions, Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rouen, 2002), et l’un des articles du livre collectif Plossu Cinéma (Yellow Now, FRAC Provences-Alpes-Côte d’Azur, Galerie La Non-Maison, 2009).
Distributeur et producteur de films, ancien directeur de la mythique salle de cinéma Studio 43 (Paris), commissaire d’exposition (Hitchcock et l’art, Cocteau contemporain, Michelangelo Antonioni, Gaumont, 120 ans de cinéma, Lewis Baltz…), critique pour Art Press et les Cahiers du cinéma, Dominique Païni connaît son sujet sur le bout des yeux.

Reprenant le fil de la pensée d’Edgar Morin exprimée en 1957 dans le court texte Les Stars – « La star est à la frontière de l’esthétique et de la magie. » – Dominique Païni cherche à sauver le glamour, son « nappé » plus que son « aura » (trop lointaine), du kitsch comme pur effet de publicité tendant à se substituer à sa puissance.
Terme d’origine écossaise signifiant « magie, enchantement », ce mot fut « popularisé par les écrits de Walter Scott » au XIXe siècle.
L’apparition des premières stars est un phénomène d’ordre essentiellement cinématographique, si l’on songe à la magnétique Rita Hayworth naissant comme sex-symbol dans Gilda, de Charles Vidor (1946).

« Gilda relève d’un événement optique : une extraction du flou vers le net », soit la définition pour une grande part de l’œuvre de Bernard Plossu dans son climat de bonheur éphémère (la jouissance du visible capturé/perdu), l’explosante fixe de ses images faisant de la rue, d’un habitacle de voiture, d’un wagon de train, de la capsule d’un autobus, un studio de cinéma.
Du flou perceptible dans la photographie de cinéma des années 1920 naîtra la star en son piqué net et d’autant plus sexy qu’il confère au corps la force irréfutable du mythe.
Quelques mortels rejoignent ainsi les Olympiens, ce sont nos nouveaux dieux.

Sur les hauteurs de Cannes, Grace Kelly mord dans la cuisse d’un poulet, faisant frémir Jupiter/Cary Grant (Alfred Hitchcock, La main au collet, 1954), et briller les bijoux de ses yeux.
« Le glamour contient le mot « amour » et rayonne du même éclat glacé qu’induit l’assonance anglaise du glittering (le scintillant). Il ne se réduit pas à la consumérisation éphémère du « bling-bling », ni à l’évidence facile de la pin-up. Il ne se consomme, ni ne s’épingle ; il s’adule. »
Le romantisme associé au glamour procède d’un « certain goût des ruines », comme un parfum de nostalgie, de sublime, quand la laideur générale impose sa loi.

Le glamour n’est pas de promiscuité, il refuse l’eau qui relie malgré soi, lui préférant « le brillant sec de la soie et la morbidezza du satin, le tranchant du lamé qui accroche la lumière, les sequins et les strass qui rétro-projettent, mais aussi le pesant velours qui alterne les masses d’ombres. »
Et Dominique Païni de décliner, sous le double regard de Barthes et de Bachelard, le glamour en ses quelques figures les plus représentatives, Veronica Lake, Jean Harlow, Marilyn Monroe, Louise Brooks, Greta Garbo, Gene Tierney, Marlène Dietrich, Sharon Stone, Scarlett Johansson, Penelope Cruz, mais aussi, de l’autre côté du monde, de Rudolf Valentino, Fred Astaire, Cary Grant, Jean Marais jouant la Bête pour Cocteau – importance pour les stars masculines du trouble généré par l’ambivalence sexuelle -, Jean Gabin, Marcello Mastroianni et George Clooney.
Formulation de l’hypothèse inattendue d’un Mathieu Amalric glamour : « Le charme original d’un Mathieu Amalric réinvente une masculinité inédite, faite de laisser-aller : mal coiffé, barbe de plusieurs jours, mollesse usée des vêtements, demi-sourire dans le regard. Il fait craquer les filles qui le voudraient comme frère, amant, copain et père de leurs futurs enfants. »

Qu’elle soit habillée (Rita Hayworth, Marilyn Monroe) ou offre sa nudité à l’écran (Eva Green dans Innocents, de Bernardo Bertolucci), la femme glamoureuse reste parée d’une distance, d’un out of joint, faisant d’elle un pur fantasme à la façon d’un noli me tangere.
Le manteau de fourrure, par exemple, est ainsi d’autant plus glamour qu’il exhibe la nudité de qui le porte, femme ou femelle, dans une ostentation qui est aussi un retrait, une pudeur.
Il y a ici du danger, et de la fatalité dans les chignons relevés offrant des nuques douces comme la lame d’une guillotine.

En trente-cinq images impeccables, Bernard Plossu, pour qui la Nouvelle Vague et la contre-culture américaine furent des matrices, marcheur fasciné par les chaussures des femmes tel un Buñuel errant dans la ville infinie de son cadre photographique, approche avec une grâce bouleversante le théâtre intime de ses désirs.
Les femmes les plus glamour sont pour lui des sphinges d’une élégance capiteuse, des projections de lumière, des habits abandonnés dans une chambre d’hôtel parmi des coupes de champagne vides.
Qu’il les réinvente à travers les yeux de Bergman, d’Antonioni, de Rohmer ou de Jean-Luc Godard, ces êtres féminins échappés d’une salle de cinéma aux murs effondrés sont des fictions réelles, des effleurements de regard, des bulles de rêves.
Glamour peuvent être des métonymies, un pull moulant, une tasse de café fumant, une tenture, une couverture de polar, la plaque de cuivre rappelant la naissance d’Audrey Hepburn dans le quartier d’Ixelles, à Bruxelles, près d’une célèbre maison de rendez-vous.
« Pour espérer encore que le cinéma enfante des femmes et des hommes rayonnant de glamour, en conjuguant jusqu’à la perversité de l’inspiration du désir et notre goût innocent du divertissement, faut-il que l’on se souvienne toujours de cette apophonie nécessaire entre la généreuse acuité sur l’humanité réelle et la folle croyance en les divinités qui peuplent nos rêves ? »
Comprendre ici que Glamour est sans conteste possible l’un des textes les plus brillants, les mieux écrits, les plus intimement sentis, de Dominique Païni, photographe sans appareil amoureux du cinéma et de ses fantômes nacrés.
Dominique Païni, Glamour, photographies de Bernard Plossu, Filigranes Editions, 2017, 82 pages