Entre Narcisse et néant, l’œuvre complet d’Egon Schiele, par Tobias G. Natter

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© TASCHEN

C’est un livre impressionnant de plus de sept kilos publié par la maison d’édition de Cologne, Taschen. L’initiative est privée, mais la portée publique considérable.

Egon Schiele, sous-titré « Le provocateur mélancolique », est un ouvrage que l’on attendait depuis longtemps, tant l’œuvre du génial peintre viennois, aperçue et admirée çà et là, méritait un écrin à sa mesure.

Consacré aux dix dernières années d’activités (1909-1918) d’un artiste qui mourut à vingt-huit ans, cet Œuvre complet fera date.

Sur son lit de mort, le 31 octobre 1918, Egon Schiele prophétise : « Après ma mort, tôt ou tard, on me tressera certainement des lauriers et on admirera mon art. »

Trop effrayant et voluptueux pour être apprécié véritablement de son vivant, le peintre autrichien est aujourd’hui adulé – le Belvédère de Vienne fut le seul musée à avoir acheté au peintre une œuvre de son vivant.

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Sa représentation inlassable du désir et de la solitude dans des scènes à la fois crues et nimbées de mélancolie, ses autoportraits incessants, sans concession, font de lui un explorateur de l’humaine condition, dénudant ses personnages jusqu’à l’os.

Les chairs semblent violentées, et agies par un feu intérieur les contraignant à une recherche radicale de vérité. Il y a des restes de fard, des costumes tombés aux pieds de leurs modèles, une possibilité de sauvagerie dans l’acmé du plaisir. Les doigts sont démesurés, comme tendus par la mort. Les yeux sont clos, grand ouverts ou presque fous. Le sexe féminin est merveilleusement restitué.

Il faut avoir connu mille fois les vertiges de l’amour en tous sens pour comprendre si bien les torsions du désir.

Dans son excellente édition, Tobias G. Natter a choisi de montrer en couverture le buste d’une sainte putain, vue de trois-quarts, le visage tourné vers le spectateur, maquillé outrageusement, un travesti peut-être, vêtu d’un manteau d’Arlequin aux couleurs de la Sécession viennoise. L’expressivité de cette figure aux lèvres très rouges, telle une Béatrice de bordel, enjoint le regardeur à pénétrer dans un monde que Schiele a voulu peindre sans tabou.

Preuve est donnée ici en un livre reproduisant deux-cent-vingt-et-une peintures, dont bon nombre très peu connues (joie des collectionneurs privés).

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« Un artiste doit être, plus qu’aucun autre, un être humain, et il doit aimer la mort et aimer la vie. »

Maître d’œuvre d’un projet éditorial hors norme, le conservateur et expert en art reconnu internationalement Tobias G. Natter a regroupé autour de lui un comité rédactionnel de haut vol, choisissant de séquencer son livre en six chapitres, qui sont six essais.

Christian Bauer (« Un enfant prodige et rebelle ») déploie la thématique de l’enfance et de la jeunesse d’Egon Schiele, quand Helena Perena (« L’esthétique de la transformation : la percée en 1910 et 1911 ») s’intéresse aux années de métamorphose du peintre.

Dans « La passion d’Egon Schiele : spiritualité et sexualité 1912-1915 », Gemma Blackshaw analyse la dialectique de l’enfermement (les vingt-quatre jours que l’artiste passa en prison ») et de la vie publique, Schiele n’étant pas le reclus/exclu volontaire qu’on aura parfois cru qu’il était.

Jill Llyod quant à lui retrace les dernières années de la vie du peintre (« Egon Schiele 1914-1918 : les années de guerre »), alors que Diethard Leopold explore le thème si important des autoportraits (« Le Moi comme programme »), Ursula Storck insistant en outre sur le talent littéraire trop méconnu du Viennois qu’elle décrit en poète expressif (« Ecriture et langage chez Egon Schiele »).

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Dans un second temps, après avoir établi la biographie du peintre, Tobias G. Natter s’attache à établir le catalogue raisonné de l’œuvre, décrivant avec précision chaque toile.

On peut s’étourdir à dresser la liste de ses autoportraits (« Autoportrait en tirant la paupière », « Autoportrait à la tête baissée », « Autoportrait avec bandeau sur le front », « Autoportrait à la tête baissée », « Autoportrait avec modèle »), mais Schiele c’est aussi d’admirables natures mortes, des paysages, notamment urbains, des objets endormis que le pinceau exalte, des portraits de proches.

Il y a dans la masturbation et les affres du désir inassouvi une violence ontologique qui bouleverse.

Il y a dans son œuvre une dépense énergétique fondamentale habitée de noirs tourments et de soleils morts – Schiele a vu Van Gogh.

Il y a de la voyance, du voyeurisme, des séductions diaboliques et des halos d’aura partant du centre du corps.

Les fleurs elles-mêmes sont impudiques, aimantant le regard.

Si Schiele est aujourd’hui à ce point apprécié du public féminin, c’est qu’il a su montrer, sans détour, la stupéfiante beauté animale de son sexe, qui palpite là, au centre de la toile, au centre du sujet, comme une petite bête, ou une plante carnivore, ou un fruit gorgé de sang.

Dès vingt ans, Schiele a trouvé un système pictural qu’il ne cessera d’approfondir, telle une radioscopie fabuleuse de l’anatomie humaine.

L’érotisme est chez lui lié au mysticisme, à l’illumination, dans une quête de transcendance par le geste transgressif paraissant sans fin – Schiele est un artiste dont le besoin de consolation est impossible à rassasier.

« Je sais qu’il n’y a pas d’art moderne, il n’y a qu’un seul art, et il est éternel. »

Dans une lettre de 1918 : « Je crois que tout artiste doit être poète. »

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Egon Schiele, L’œuvre complet (1909 – 1918), édition établie et présentée par Tobias G. Natter, textes de Christian Bauer, Helena Perena, Gemma Blackshaw, Jill Llyod, Diehard Leopold, Ursula Storch, Tobias G. Natter, éditions Taschen, 2017, 610 pages

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Tobias G. Natter est aussi l’auteur chez Taschen d’un merveilleux ouvrage consacré au peintre Gustav Klimt, né en 1862 et mort la même année que Schiele.

La fortune critique du peintre viennois est, à l’instar de son turbulent confrère, d’un enthousiasme actuel remarquable, après quelques décennies de relatif oubli après sa mort.

Ses portraits féminins, allégoriques ou non, sont parmi les plus somptueux de l’histoire de l’art, Klimt ayant pris soin de ne pas distinguer art pictural et art décoratif, dans l’ambition de créer une œuvre totale, où la beauté ne serait indifférente à aucun aspect de la vie.

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La fondation de la Sécession viennoise en 1897 fit de lui son représentant majeur, l’artiste n’abordant la thématique du paysage que dans la seconde moitié de sa vie.

Catalogue de l’ensemble des tableaux de Klimt connus à ce jour, l’édition établie par Tobias G. Natter fait du peintre viennois un artiste pleinement vivant, presque contemporain.

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Livre de référence, ce Klimt tend ainsi à participer aux rassemblements des forces qui aujourd’hui pensent le renouvellement du monde par une beauté offerte à tous comme possibilité de renaissance, individuelle et collective.

Klimt, ou la noblesse pour tous.

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Gustav Klimt, Tout l’œuvre peint, édition établie par Tobias G. Natter, textes de Rainald Franz, Angelina Pötschner, Christoph Grunenberg, Annette Freytag, Susanna Partsch, Evelyn Benesch, Marian Bisauz-Prakken, Michalea Reichel, Tobias G. Natter, éditions Taschen, 2017, 607 pages

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