Portrait de l’agence photographique MYOP en ses MYOPZINES réunis

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copyright Olivier Laban-Mattei

C’est le désert, pourtant croît aussi ce qui sauve. C’est une dévastation, pourtant surgissent partout des collectifs, des initiatives, des formes inventives, des énergies positives.

Mon dernier éblouissement ? Les huit cahiers, en deux fois deux livraisons de quatre, de l’agence photographique MYOP, comprenant à ce jour dix-neuf artistes.

Huit cahiers offerts pour le moment, par ordre d’apparition, à Pierre Hybre, Guillaume Binet, Alain Keler, Julien Pebrel, Olivier Laban-Mattei, Marie Dorigny, Agnès Dherbeys, et Julien Daniel.

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copyright Agnès Dherbeys

Huit MYOPZINES publiés chacun à 250 exemplaires. Format et nombre de pages identiques.

Il faut imaginer MYOP comme un long poème visuel diffracté/prolongé en autant d’auteurs, inspirés par ces vers de Paul Eluard : « Mes yeux objets patients / étaient à jamais ouverts / sur l’étendue des mers / où je me perdais »

Soit une vision du grand dehors, jamais disjointe de l’intime du grand dedans.

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copyright Agnès Dherbeys

Chaque œuvre, éditée modestement mais avec une ligne graphique de grande tenue, mériterait une analyse sémiotique et sensible développée, mais laissons cela pour le moment et présentons l’ensemble allegro vivace, la dynamique restituée valant profession d’érudition.

Pierre Hybre parcourt l’Ariège à la recherche de l’indemne dans une série intitulée La vie sauvage. Des objets, des situations, des paysages, des personnages aux cheveux indisciplinés, des tipis, le limes de l’Espagne comme borne et possibilité de sortie, au cas où. Grâce et rudesse de survivants ayant le visage de l’humanité future.

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copyright Julien Daniel

Guillaume Binet parcourt le Yémen, où l’air manque, où la guerre vautour plane, où les femmes se cachent, où les enfants ne vivent pas toujours très longtemps. En quatre parties, le photographe déploie toute la complexité d’un pays déchiré entre camps politiques opposés de façon belliqueuse, entre Aden et Sanaa. En incipit : « J’ai embarqué le 25 juin 2015, à Djibouti, sur un bateau en bois d’une vingtaine de mètres de long affrété par MSF, pour rejoindre, de l’autre côté du golfe, Aden assiégée. Il faisait nuit, une grosse houle faisait tanguer l’embarcation, apparaître et disparaître la lune. La mer était noire, la route martelée par le bruit du groupe électrogène. L’équipage était inquiet, notre port de destination était en ruine. Je maintenais mon sac hors de l’eau, plongé dans cette forme de concentration et de sérénité forcées par l’appréhension et le stress. Au bout de 15 heures de mer, après avoir longé une côte magnifique et silencieuse, Aden est apparue. Accueilli par des tirs soutenus de kalashnikovs, j’arrivais au Yémen pour la première fois pour documenter le drame qui depuis 2015 plonge ce pays dans le chaos. » Bienvenue dans un pays de sable, de ciment, de sang, et d’oubli.

Juke joint blues d’Alain Keler est un blues mississippien. Les images ont vingt ans, faites entre Clarksdale, Greenville et Oxford, et du côté du pénitencier de Parchman où l’on ramasse encore le coton à la main. Delta du Mississippi, triangle pauvreté, ségrégation et musique. Danse dans des cabarets miteux, bières en pintes, black is beautiful and souffrances. Solitudes à deux ou plusieurs. Alain Keler photographie en noir et blanc la mémoire de ce qui est, de ce qui a été, et le chante.

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copyright Julien Daniel

Julien Pebrel a rencontré Sulina, ville en perdition située aux portes du Danube roumain. La pêche est belle, mais sans miracle, il faut survivre, ramasser du bois, boire trop, compter les dépenses d’électricité, attendre un impossible avenir, veiller les morts, s’amuser désespérément. Les images sont douces et dures, d’une tonalité élégiaque, comme un sourire de politesse face à l’invivable.

Il y a à Naples un quartier de misère et de mafia appelé Pianura. Bien loin de toute idée envisageable de Vita Nova (Dante), c’est La Dura Vita, telle que perçue par Olivier Laban-Mattei, qui a rencontré, été 2013, la famille Iovine dont il a fait un livre opératique. Le logement est exigu, que la rue agrandit. On se dispute, se déteste, s’adore, c’est l’heure du repas, des règlements de comptes et du partage. C’est en noir et blanc comme un film de Vittorio de Sica, qui a su dire avec fraternité la vie des humbles, la promiscuité, les maladies, la tendresse. Ici, sous la menace du Vésuve, théâtraliser les durs travaux des jours et des nuitss n’est pas un luxe, mais une dernière liberté, un retournement du mal en féerie de spectacle.

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copyright Marie Dorigny

Au Népal, la condition féminine est terriblement difficile. Le suicide est la première cause de mortalité féminine entre 15 et 49 ans. Que peuvent les images d’une photographe qui passe (Marie Dorigny) quand les femmes qu’elle a cherché à rencontrer restent prisonnières d’un quotidien saturé de détresse ?  Mariages arrangés, obsession de la virginité, mise en quarantaine lors de la période des règles considérées comme impures, veuvages impossibles, prostitution, violences diverses, envie de mourir. Reportage écrit avec la journaliste et romancière Judith Perrignon, Le pays qui n’aimait pas les femmes est un cahier de désespoir, bien loin du cliché d’un Népal, certes pollué mais enchanteur, pour des touristes en mal d’exotisme.

On reste en Asie avec Agnès Dherbeys et son Bangkok Erratic (numéro 7), vision intime, nocturne, d’une ville électrique qu’elle connaît bien pour y avoir vécu douze ans. Monochromes des néons de couleur, zébrures des éclairages de bars ou de boites de nuit, impression d’un gigantesque aquarium surveillé par la police où s’invente une vie sans dehors. Désirs, errances, impasses, ivresse d’être au monde, si seul.

Julien Daniel pour le dernier cahier de la deuxième série des MYOPZINES arpente le théâtre d’Odessa, à l’automne 2003 en Ukraine et à l’été 2004 au Texas. Film argentique, enfance de l’art, vertiges existentiels entre Est et Ouest, construction de diptyques comme un jeu de rencontres rimées. Où est-on ? Ici ? Là ? Peu importe après tout, puisque la photographie est une chambre de mémoire, où les images s’emmêlent pour donner un aperçu des formes qui habitent l’inconscient.

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copyright Marie Dorigny

Ça fait huit, il y en aura 21, comme une phrase en expansion.

Alors, ces MYOPZINES, ça vous tente ?

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Collection MYOPZINE, huit cahiers, volumes 1 et 2, 2017

myop

Agence MYOP

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copyright Agnès Dherbeys

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