Lors des dernières rencontres d’Arles, l’exposition du travail photographique de Mathieu Pernot consacré à la famille rom des Gorgan fut un événement.
La présence considérable dans le cadre des membres de cette famille impose une sorte de fascination immédiate.
Le cadre ? Autant dire un défi à la liberté de fond d’individus refusant d’instinct le fichage identitaire, et la prison des représentations dominantes.
Depuis vingt ans, Mathieu Pernot rencontre très régulièrement les Gorgan, devant leurs caravanes, au Photomaton (contrainte d’un dispositif face auquel les enfants explosent de vitalité), près d’une prison (série Les Hurleurs), rassemblant en outre des archives sur l’internement des populations nomades durant la Seconde Guerre mondiale.
Défi : comment faire pour que la photographie ne soit un fichage de plus ? ou un acte funéraire à l’heure de l’acculturation à la société marchande unifiée de nombre de jeunes gitans ? (lire dans L’Intervalle mon article sur le livre Le Testament manouche, de Benjamin Hoffman et Louis de Gouyon)
Mathieu Pernot : « J’ai vécu en compagnie des Gorgan une expérience qui dépasse celle de la photographie. A leur côté, j’ai assisté, pour la première fois, à la naissance d’un enfant ; j’ai aussi veillé le corps de celui que j’avais vu grandir : Rocky, mort brutalement à l’âge de 30 ans. »
Les éditions Filigranes donnent aujourd’hui à voir un autre pan du travail photographique de l’artiste, entre recréation ethnologique/géographique et pratique ludique, soit la confection d’une carte imaginaire de la France des années 1950 et 1960 à partir d’un ensemble de 405 cartes postales de l’entreprise LAPIE représentant des vues aériennes (fonds de plus de 300 000 phototypes acquis par les Archives nationales en 1972).
Au lecteur/spectateur/acteur de jouer à assembler en un espace de plusieurs mètres carrés douze modules à déplier, regroupés d’abord sous la forme d’une pochette.
Présentation : « En littérature, l’expression « Dorica Castra », provient d’un vers de Virgile (Enéide, chant 2) et signifie « les camps grecs ». Elle est aussi une forme particulière de l’anadiplose qui se caractérise par un principe d’association de syllabes dans la littérature enfantine : la dernière d’un mot devient la première du mot suivant. Appliqué au domaine de la photographie, le « Dorica Castra » consiste en un montage d’images se prolongeant visuellement. »
Il faut donc commencer par étendre sur le sol ces douze morceaux de France, avant que de construire une carte imaginaire aussi saugrenue qu’unifiée, faisant apparaître un pays réel, mais inconnu, en déjouant ainsi le piège des clichés identitaires associés à telle ou telle partie de notre pays, reconstruit dans une pluralité surréalisante assez proche de ce que serait la carte de l’inconscient de chaque participant.
Une montagne rencontre un pont qui rencontre une rivière qui rencontre un immeuble d’habitations.
Tout est juste, tout est faux, tout est jeu.
La France devient un grand brassage de cartes postales associées selon le principe du lien visuel fort.
Mathieu Pernot nous invite aussi à venir jouer au « Straca Carido » : il s’agit ici d’agrandir le détail d’une seule carte postale découpée en plusieurs fragments (installation montrée récemment au site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine).
Amis joueurs, avec Mathieu Pernot, vous n’avez pas fini de vous étonner/amuser.
Et on peut tricher un peu, c’est meilleur.
Mathieu Pernot, Dorica Castra, Filigranes Editions, 2017, 12 modules pliés, 70 pages
Mathieu Pernot, Les Gorgan, 1995-2015, éditions Xavier Barral, 2017, 232 pages
Arles 2017, Les Rencontres de la photographie, catalogue des expositions, éditions Actes Sud, 2017, 384 pages