Ceija Stojka, numéro Z 6399 tatoué à Auschwitz, et rescapée

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« Si je devais écrire tout ce que je pense, ça serait sûrement un livre infini de chagrin. »

Il faut savoir gré aux éditions Isabelle Sauvage (Plounéour-Ménez, Finistère) de nous faire découvrir en français l’œuvre complète de Ceija Stojka (1933-2013).

Après Je rêve que je vis ?, la publication de Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers les siècles, permet de retrouver la voix singulière d’une rescapée des camps de concentration allemands (Auschwitz, Ravensbrück, Bergen-Belsen), née en Styrie (Autriche) d’une famille de marchands de chevaux rom, dont le père mourut à Dachau.

Installée à Vienne après la guerre, Ceija Stojka, vivant de la vente de tissus, entreprend dès les années 1980 de raconter sa terrible histoire (travail de remémoration soutenu, aidé, par la documentariste Karin Berger), fidèle en cela à la tradition orale de son peuple, accompagnant ses récits de peintures (près de mille œuvres) que montre actuellement la Maison rouge (Paris), après une première présentation à la Friche la Belle-de-Mai (Marseille).

6. C.S, Auschwitz
© Ceija Stojka

Chez Ceija Stojka, l’adulte n’a pas effacé l’enfant, qui continue de s’exprimer en elle, effaré par la violence des hommes.

« Le commandant du camp s’était épris d’une petite fille, l’enfant n’avait pas de parents. C’était une enfant mignonne, elle avait de beaux cheveux blonds. Il l’emmenait toujours avec lui dans sa voiture décapotable. Il conduisait dans la rue principale et se montrait avec elle et voulait nous montrer par là qu’il pouvait être bon avec des enfants. Mais à la liquidation d’Auschwitz, il aurait eu à la gazer elle aussi, il voulait lui épargner cela. Il l’a assise dans sa voiture et l’a abattue lui-même. »

2. C.S, Ohne Titel
© Ceija Stojka

Sans pathos, ni haine, son témoignage révèle la foi en la vie d’une femme que le destin a choisi pour dire sans détour à tous, les siens et les Gadjé, ce qu’a été l’oppression nazie, alors qu’arrivent de nouveau au pouvoir des êtres de rancœur extrême.

Clôtures en barbelés.

Atrocités sans fin.

Epouillage, typhus, gale.

Matraque des SS et kapos.

Rêves incroyables.

Crématoires.

1. C.S, Ohne Titel
© Ceija Stojka

« L’odeur de toutes les personnes qui y étaient brûlées était toujours sucrée. Certaines fois il y en avait tant qu’il n’y avait pas assez de place pour tous dans ce crématoire. Alors les SS les poussaient dans un puits rempli d’huile, l’odeur n’était plus sucrée, car ils avaient tout sur eux, les habits, les chaussures et leurs cheveux. Mais nous on entendait et on savait tout. »

Insultes, fouets, pendaisons.

Nettoyer le block, pousser les morts.

Mise en rang, appel, comptage, glas.

« L’hiver devait déjà être arrivé car il faisait un froid glacial. Je n’avais toujours pas de chaussures et mes frères et sœurs non plus. Notre mère dénichait souvent quelque part un morceau de pain ou quelques patates. Nous, les enfants, on se recroquevillait toujours contre notre mère. Sans elle, je n’aurais guère survécu. »

Solution finale, sélections, extermination.

Trains, uniformes, gourdins en caoutchouc, hurlements, bergers allemands.

« Beaucoup de femmes SS avec des chiens. Nous savions que ces femmes étaient pires que les hommes SS à Auschwitz. »

Neige, abattement moral, courage.

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© Ceija Stojka

« Les femmes SS étaient pire que tous les satans. »

Stérilisation forcée, marche forcée, travail forcé.

Creuser une fosse, creuser des latrines, creuser sa tombe.

Des tonnes de pluie, des tonnes de boue, des tonnes de cadavres.

Puis, c’est la libération, le réapprentissage de la vie (lire et écrire d’abord), la vie adulte (partie Voyage vers une nouvelle vie) : « Souvent j’ai peur que mes enfants et leurs enfants aient à vivre des temps de persécution comme nous les avons vécus. De toute façon, ils souffrent des crimes nazis de l’époque. Souvent, ils ont grandi sans grand-mère ou grand-père, souvent aussi sans père ou mère. Et leurs oncles et tantes, ils sont où ? »

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Apparaît le visage de Ceija Stojka, femme magnifique, les yeux profonds, rieurs, douloureux. Classe et coquetterie. Cigarette. Indépendance. Force de vie considérable.

« Oui, un miracle, ça nous aurait bien rendu service. Mais, on le sait, le bon Dieu fait attendre le plus longtemps ceux qu’il aime le plus. »

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Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, traduit de l’allemand (Autriche) par Sabine Macher, suivi de deux entretiens et un essai par Karin Berger, éditions Isabelle Sauvage, 2018, 296 pages – édition enrichie d’un cahier de 19 photographies

Découvrir les éditions Isabelle Sauvage

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Exposition Ceija Stojka, Une artiste rom dans le siècle, à la Maison rouge (Paris), du 23 février au 20 mai 2018

Entrer à la Maison rouge

Poème (forme orale spontanée) Auschwitz est mon manteau : « Tu as peur de l’obscurité ? / Je te dis : là où le chemin est sans hommes, / Tu n’as rien à craindre. // Je n’ai pas peur. / Ma peur est restée à Auschwitz / Et dans les camps. // Auschwitz est mon manteau, / Bergen-Belsen ma robe / Et Ravensbrück mon maillot de corps. // De quoi devrais-je avoir peur ? »

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Lire Auschwitz est mon manteau, édition bilingue allemand/français, traduit de l’allemand par François Mathieu, préface de Murielle Szac, éditions Bruno Doucey, 2018, 128 pages

Editions Bruno Doucey

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© Ceija Stojka

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MAISON ROUGE - CEIJA STOJKA
© Ceija Stojka

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