
Natten, de Margot Wallard, est un livre de deuil et de renaissance, mais c’est aussi un ouvrage rendant hommage à la beauté profonde du Varmland, en Suède.
Dans la nuit, l’artiste a trouvé un chemin de beauté.
Immergeant son corps nu dans une nature sereine, glaciale, souveraine, Margot Wallard est parvenue à trouver la sérénité qui lui manquait.
Artiste de nécessité, la compagne de JH Engström ne conçoit son travail que dans le temps long de l’élaboration, apportant un grand soin à chaque étape d’un projet.
Exposé actuellement à la galerie VU’ (Paris), il serait dommage de ne pas découvrir la singularité de son univers.
Vous avez choisi pour Natten (« nuit » en suédois) d’apparaître et de disparaître, totalement nue, dans la nature. Est-ce un fantasme d’unité adamique ? Une façon de nouvel accouchement ?
Pour répondre à cette question il faut que je parle du contexte dans lequel a démarré ce projet. Je venais de perdre mon frère et de terminer un livre en son hommage Mon frère Guillaume et Sonia (Editions Journal, Suède, 2013). J’étais en plein deuil, submergée par toutes les questions liées à la vie et à la mort. Après avoir « braqué » mon appareil sur mon frère, j’ai ressenti le besoin de le retourner sur moi. Je n’avais jamais vraiment fait d’autoportrait car ils n’avaient pas lieu d’être dans mes précédents projets. Mais pour Natten, J’ai eu envie d’utiliser mon corps comme objet et comme personnage d’une histoire où la nature lui servirait d’exutoire. J’étais envahie à ce moment d’émotions contradictoires. Le désir d’aller mieux, d’aller de l’avant, mais aussi celui de m’enfoncer encore plus dans le mal-être, de ne jamais quitter cette profonde tristesse… Donc, non, ce n’était pas un fantasme d’unité adamique. Une façon de nouvel accouchement, peut-être… ça l’est en tout cas devenu par la suite.
Qu’êtes-vous allée chercher dans le Varmland, territoire de l’est de la Suède ?
Je me suis installée dans le Varmland en 2012, car j’y ai suivi mon conjoint qui est suédois et vient de cette région. C’est une des plus belles régions de Suède. Essentiellement constituée de lacs et de forêts. Au début, je regardais cette nature omniprésente et encore assez sauvage sans grand intérêt. Ensuite j’ai eu envie de m’y plonger littéralement. Par nécessité. Le livre lui rend aussi hommage.

Aimez-vous la nuit pour son opacité, sa dimension interrogative, son écrin de cruauté, quand les chairs se percutent et se violentent à l’abri des regards ? Votre livre commence par des images d’animaux morts apparaissant dans toutes leur beauté et singularité sur fond de ténèbres ?
La nuit m’a apporté les réponses à mes recherches purement esthétiques. J’ai fait beaucoup d’expérimentations pour ce projet. J’ai essayé plusieurs choses le jour qui ne me satisfaisaient jamais. Puis l’hiver est arrivé avec ses journées tellement courtes. J’ai commencé à photographier de nuit, dans le froid et cette nouvelle ambiance m’a aidée à trouver la forme qui correspondait le mieux à ce que je voulais exprimer. Ensuite j’ai pu utiliser cette méthode pour photographier de jour. La nuit m’avait aidé à résoudre une énigme. C’est la raison pour laquelle j’ai aussi scanné les animaux sur fond noir.
Votre corps est-il un principe de feu intérieur confronté à la glace que vous observez de très près ?
Mon corps a été utilisé comme un objet ou personnage submergé par des émotions et confronté à la nature en général. C’est à dire à un espace et ses différents éléments.
Votre livre parcourt-il les quatre saisons ?
Oui. Mais ce n’était pas forcément une intention première. Le projet a duré plusieurs années avec des pauses. Donc, indéniablement, les saisons ont défilé devant ma caméra.
Vous photographiez des insectes comme des summums de délicatesse baroque faisant songer par leurs formes aux structures de glace qui les précèdent dans le livre. Ne cherchez-vous pas à désigner ainsi l’inattendu des correspondances entre ordres minéral, végétal et animal ?
Oui, il y a de ça. J’ai aussi abordé le projet d’une manière un peu « scientifique » dans la méthode. Observations, expériences, classification… J’ai utilisé le scanner comme appareil photo. Ce qui m’a fasciné, c’est que cet outil que l’on utilise généralement pour copier quelque chose, pour retranscrire à l’identique, m’a permis au contraire de sublimer, de transformer. Le résultat est apparu très poétique par rapport à la méthode. J’ai eu l’impression de rentrer dans la matière et ça m’a beaucoup plu.
Etes-vous spontanément animiste ?
Non, pas particulièrement.
Y a-t-il une dimension de rituel chamanique dans votre approche de l’art ?
Non. J’adore les rituels, mais les miens sont plus de l’ordre de l’organisation ou de l’aspect pratique quand il s’agit de faire des photos. Me faire un thermos de thé chaud ou prendre de la vodka pour supporter le froid. Passer des heures seule à observer un endroit avant de poser mon trépied. Avoir un schéma dans la tête, le suivre scrupuleusement. Mes rituels me rassurent mais ne sont pas d’ordre spirituel.
Vous rêveriez-vous nymphe des bois ?
Pas vraiment…. mais si on me voit ainsi dans ce projet ça ne me dérange pas !

Comment vous situez-vous vis-à-vis de la pensée et de l’esthétiques romantiques ?
Je ne me situe nulle part dans ce courant. La pensée et l’esthétique romantiques, je les connais, je les ai étudiées, je les admire, mais si elles ont pu m’inspirer, c’est inconscient. Je cherche à me détacher tout le temps des « influences » dans mon travail.
L’art permet-il d’accepter la peine de vivre, et, peut-être, de renaître ?
Pour moi l’art est avant tout une nécessité. Comme celle de respirer pour vivre. Un artiste est celui qui a un besoin viscéral de s’exprimer à travers une émotion, une idée, un concept. Un besoin de communiquer aussi et une curiosité sans fin. L’art me permet d’accepter beaucoup, notamment les questions sans réponses…
Votre livre se termine par deux images de vous, enceinte. Ces photographies sont-elles l’aboutissement d’une recherche sur les métamorphoses du corps féminin pendant la grossesse, ou ont-elles précédé tout le livre, comme s’il fallait le lire à l’envers ? Seriez-vous enceinte de la nature elle-même ?
Pour être honnête je n’avais pas forcément prévu d’être enceinte pour le projet. Quand c’est arrivé, je l’ai naturellement intégré dans les prises de vues. Mais je ne voulais pas que cela tourne autour de cet événement extraordinaire et aussi finalement très banal. C’est la raison pour laquelle il n’y a que deux images de ma grossesse et qu’elles sont à la fin.
Les images datent de 2013. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Les images ont été produites entre 2013 et 2017. J’ai volontairement pris le temps, car pour moi le temps est un outil créatif. J’aime travailler sur le long terme. C’est ma seule méthode pour approfondir, douter, essayer, recommencer. J’ai aussi fait des pauses qui ont été bénéfiques.
Comment avez-vous rencontré votre éditeur suédois, Max Ström ? Est-ce par l’entremise de JH Engström, que vous remerciez en fin de volume ? Vous avez d’ailleurs produit avec lui l’ouvrage Karaoke Sunne, édité au Japon.
JH Engström, je l’ai remercié sur mon précédent livre aussi, car il est mon conjoint et il me soutient donc dans tout ce que j’entreprends. Il m’a suggéré de contacter Max Ström car il connaît bien leur ligne éditoriale et mon projet pouvait donc les intéresser. Il n’a pas eu tort.
Nous avons produit trois livres ensemble édités par Super Labo (Japon) : Foreign Affair en 2011, 7 Days Athens November 2011 et Karaoke Sunne en 2014. Et nous dirigeons un workshop d’un an que nous avons créé en 2012, l’Atelier Smedsby. Travailler ensemble nous apporte beaucoup même si ce n’est pas facile tout le temps, nous avons beaucoup de débats car nous ne sommes pas toujours d’accord mais ça fait partie de notre processus créatif et c’est assez enrichissant. Nos débats nous élèvent ! En tout cas nous font réfléchir…

Comment avez-vous travaillé avec Greger Ulf Nilson pour la composition de votre livre ?
Greger Ulf Nilson est un des meilleurs graphiste designer de livres photographiques. C’était un réel plaisir de travailler avec lui car il sait très bien écouter et il a de merveilleuses idées. Nous avons donc beaucoup parlé au début. Ensuite je l’ai laissé faire et nous nous sommes revus plusieurs fois pour peaufiner le reste. Je suis tellement contente de ce qu’il a fait pour Natten que je n’hésiterai pas à retravailler avec lui pour d’autres projets.
Comment avez-vous conçu avec Caroline Bénichou votre exposition à la galerie VU’, qui a lieu du 13 avril au 26 mai 2018 ?
L’espace de la Galerie VU’ n’est pas évident. Il était impossible de mettre toutes les images du livre conçu un peu comme une « encyclopédie ». J’ai donc sélectionné les images les plus symboliques du projet. Il était aussi important que le livre accompagne l’exposition et soit donc mis en avant.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Margot Wallard, Natten, texte (anglais) de Margot Wallard, Bokförlaget Max Ström, 2017
Exposition à la galerie VU’ (Paris), du 13 avril au 26 mai 2018