
12 novembre 1938. En France un décret permet l’internement des « étrangers indésirables » (600 000 personnes furent internées dans les camps français de 1938 à 1946)
Dans son documentaire sidérant, No Pasaran, album souvenir (2003), Henri-François Imbert reconstituait, à partir de six cartes postales ayant circulé à l’époque de leur plein emploi, la mémoire perdue des multiples camps d’internement (appelés « camps de concentration ») ayant servi dans le Sud de la France (Argelès, Saint-Cyprien, Agde…) à y détenir les étrangers que la République trouvait « indésirables ».
Les familles étaient séparées, les hommes d’un côté, femmes et enfants de l’autre.
Le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées orientales fut l’un de ceux-là, qui servit durant sept décennies (1939/2007) à protéger notre pays des hordes de gueux menaçant son intégrité.

Ces misérables furent des républicains espagnols fuyant le franquisme, des juifs, des tziganes, des « harkis », des exilés sans-papiers, les déchets innombrables de la biopolitique internationale.
Le camp de Rivesaltes est désormais un musée-mémorial conçu par l’architecte Rudy Ricciotti, inauguré par Manuel Valls en octobre 2015.
Ce lieu de souffrance – l’armée avait prévu d’y installer des écuries, mais on trouva que les conditions climatiques, hiver comme été, étaient trop rudes pour les bêtes – est aussi un livre, de la photographe franco-espagnole FLORE, publié par les éditions marseillaises André Frère.

Constitué de deux séries, Loin de l’Espoir (tirages aux sels d’argent réalisés par Guillaume Geneste / La Chambre Noire), et Je me souviens de vous (tirages pigmentaires d’après Polaroids réalisés par Guillaume Fleureau / La Chambre Noire), Rivesaltes est un livre âpre surgi des ténèbres de l’Histoire se confondant avec celle du crime.
C’est un chant noir, une plainte venue des tréfonds de l’âme et de l’impossible.
FLORE montre des ruines, un état de guerre, le ravage faisant comprendre et ressentir la catastrophe humaine.
Son ouvrage est un tombeau, un territoire de fantômes errant sans fin dans la nuit.

On avance à tâtons dans le noir, on se cogne à des murs effondrés, des fils de fer, on ne comprend rien, on a tout compris.
Au cœur du livre, entre les deux séries (Je me souviens de vous est un travail au Polaroid très blanc, très nu, au bord de l’évanouissement), Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, Président du conseil scientifique su Mémorial du Camp de Rivesaltes, donne quelques repères chronologiques précieux, ainsi qu’une carte des camps d’internement français en 1941, écrivant notamment : « Le camp de Rivesaltes a une particularité exceptionnelle : alors même qu’on compta plus de 200 camps d’internement dans la France des années noires, entre 1938 et 1946, il s’agit du seul cas où subsistent dans le paysage même de telles traces. Il y a bien sûr d’autres lieux de toute première importance, comme Drancy, le centre de transit de la déportation des Juifs de France, ou comme les Milles (près d’Aix-en-Provence), qui abritent des mémoriaux majeurs. On y retrouve même des graffitis ou des fresques d’époque. Mais les bâtiments ont été détruits ou ont simplement retrouvé leur fonction initiale, qui un HLM, qui une tuilerie. Quand on connaît cette histoire, la charge émotionnelle est maximale ; quand on repère ces traces, on retrouve l’épaisseur de l’histoire. A Rivesaltes, la seule errance dans un paysage de barraques délabrées, dans un horizon sans fin, permet d’imaginer ce que cela put être. Mais peut-on vraiment l’imaginer ? »
Le travail de FLORE est de retrait et de précaution, il est en cela d’une grande force, sachant faire ressentir beaucoup avec peu.
Il faut regarder ses photographies longuement, laisser monter en soi les hantises, et ne plus les supporter pour ce qu’elles révèlent de nos bassesses.
FLORE regarde en face les politiques d’abandon et de réclusion, se souvient, n’oublie rien.
FLORE, Camp de Rivesaltes, Lieu de souffrance, textes de Flore & Denis Peschanski, édition trilingue (français, anglais, catalan), André Frère Editions, 2018
FLORE est notamment représentée par la galerie Sit Down (Paris)
N’oublions pas les camps français premier jalon vers les camps nazis ! Merci pour votre article sur le travail de Flore sur ce sujet.
Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série intitulée « Enfant de parents» sur la présence des camps en France pendant la seconde guerre mondiale. C’est un sujet totalement méconnu, voire occulté par les français en général.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html
Mais aussi : https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html
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