C’est un petit livre cousu main, que protège une couverture en plastique laissant apparaître, au verso, le visage d’une jeune femme troublante et grave, assurément une muse, tentatrice, inspiratrice, dévoratrice peut-être.
Au recto, sous le voile, un rideau de lamelles argentées, vibrant au moindre courant d’air, comme une jupe légère soulevée par le zéphyr, protège des regards non autorisés la nudité du corps de la belle exposée.
Le sexe, glabre, est apparent, mais les seins sont à-demi cachés par une brassière noire en dentelle.
Calin Kruse est l’auteur de ce livre sensuel et espiègle, intitulé malicieusement Lametta.
C’est un hommage à la beauté d’une femme, à la grâce de toutes.
C’est un souffle de désir qui n’impose rien, mais laisse la possibilité que tout advienne.
Il est imprimé en riso, qui est un choix renforçant la dimension artisanale de son projet.
Contre l’asepsie du tout-numérique, le photographe et éditeur allemand (Dienacht Publishing) mise sur les variations, la mobilité, l’image vibrante.
Il n’y a pas deux tirages identiques, mais ici plus de vingt fois le même modèle dénudé, offert cent fois (cent exemplaires numérotés, tatoués sur le bas du dos), se dérobant cent fois.
Le format est petit (12×19 cm), mais les images le sont généralement plus encore : ce sont des vignettes, des miniatures, des raretés surgies de la nuit d’un désir interminable.
Dans la complicité de la prise de vue, une femme, certaine de son pouvoir, mélancolique d’être spontanément si voluptueuse, accepte de se laisser regarder, contemplant l’objectif, retirant sa culotte avec délicatesse.
Calin Kruse construit son petit objet de plaisir comme une succession de photogrammes d’un long plan-séquence nocturne.
L’érotisme est un jeu, une enfance, une pudeur impudique.
Voici la seule vie qui vaille vraiment, celle des intervalles, échappant au temps social, ouverte au mystère d’une rencontre entre deux êtres incompossibles, cherchant pourtant à s’offrir une mutuelle délivrance.
Calin Kruse, Lametta, Dienacht Publishing, 2019, 36 pages – 100 exemplaires numérotés
Le blog de Fabien Ribery 