
Les femmes du photographe allemand Helmut Newton (1920-2004) sont des guerrières, des déesses, des fantasmes en talons aiguilles.
Le mouvement #MeToo les fait rire, elles ont depuis longtemps déjà réglé le problème avec les beaux ciseaux de leurs jambes immenses.
Intimidantes et impériales, elles suscitent, seins conquérants et plaisir franc, le désir ou l’effroi.

A un photographe puissant, il fallait une maison d’édition puissante, soit Taschen, qui lui offrit en 1999 son premier livre d’art monumental, intitulé Le SUMO d’Helmut Newton – réédité en 2009 en version réduite, et aujourd’hui encore, vingt ans plus tard.
Un format inhabituellement grand de 70 x 50 cm et un tirage de 10 000 exemplaires, tous signés par le photographe et livrés avec un pupitre en métal conçu par Philippe Starck.
Était-ce trop de grandiloquence ? Non, jamais assez pour cet homme aimant les défis et les regards directs.
Qu’ils appartiennent à l’univers de la mode ou du cinéma (Monica Vitti, Hanna Schygulla, Isabelle Huppert, Catherine Deneuve, Elizabeth Taylor, Charlotte Rampling, Ava Gardner, Jodie Foster, Cindy Crawford, Sigourney Weaver, Nicolas Cage, Helmut Berger), ses modèles sont des héros du XXe siècle incarnant le charme et la grâce, l’audace et l’insoutenable légèreté de l’être.
Ayant échappé au nazisme en trouvant refuge à Singapour, en Australie puis à Paris, Helmut Newton met en scène la beauté dans une tension de l’être qui est celle d’un survivant.

Ses nus souvent provocants ont fait sa légende, son œuvre pouvant être considérée comme un hymne à la femme du XXe siècle, moderne, assumant son corps et ses fantasmes.
Vivant une partie de l’année à Hollywood, à l’hôtel du Château Marmont, Newton aime les stars, et ce qu’elles incarnent des rêves collectifs.
Photographiés plusieurs fois, Karl Lagerfeld et Andy Warhol sont regardés comme des égaux, ce sont des autoportraits diffractés.
Ben Gazarra est un autre lui-même.
Vérité et mélancolie de Marianne Faithfull, protégée par la fumée de sa cigarette, une hirondelle tatouée sur la main.
Beauté des couples Serge Gainsbourg/Jane Birkin, Barbet Scroeder/Bulle Ogier, David Lynch/Isabella Rossellini, Denis Hopper/Denise Crosby.

Au volant de sa longue décapotable, Françoise Sagan est inaccessible, enfantine et superbe.
Le visage de Brassaï est celui d’un batracien génial, un frère en audace, un compagnon de nuits.
Dali, au bord de la mort, est un ludion le devançant chez Hadès.

Avec l’ambition d’un sculpteur de chair, Newton photographie des femmes n’ayant peur de rien, lui retournant avec hardiesse son regard de Pygmalion.
Son travail fascine, parce qu’il ne s’embarrasse pas des petites négociations avec les ennuyeuses névroses et les empêchements ordinaires, mais célèbre une liberté disponible pour qui voudra bien abandonner les mièvreries sentimentales.
Son regard, aigu et terriblement séduisant, est celui d’un homme tenant à ses visions comme à l’essence même de sa vie, un créateur parfois controversé ne pouvant supporter la moraline.

Eloge des porte-jarretelles et des fesses nues, des ongles vernis et du rouge à lèvre, des verres d’alcool et des poitrines imposantes, le mamelon parfois peint en rouge.
Chez Helmut Newton l’érotisme est aristocratique, élégant et cruel, en manteau de cuir et sexe de fourrure.
Voilà une vie passée à aimer les femmes, à chérir sa femme June, à exercer sans retenue la liberté d’expression, à célébrer le trouble.

Voici des lesbiennes chics, des juments harnachées, corsetées, habillées de prothèses.
Voici des femmes spationautes prêtes pour l’envol et la jouissance.
Lunettes noires, robes de soirée, gazes, transparences.
Etre nue sous un imperméable.

Etre attachée, enchaînée, soumise.
Cheveux étirés, tirés, ou déployés comme chez Baudelaire.
Jeux de masques et de latex.
En lumières à la Monory et images-temps à la Antonioni, Helmut Newton invente des polars métaphysiques peuplés de belles alanguies terriblement dangereuses.
Elles sont allongées sur votre bureau de travail, ou la banquette arrière d’une voiture de luxe.
Elles vous attendent, sur le satin ou contre un des piliers de la gare de Milan, offertes, pour mieux vous posséder.
Leur maillot de bain est une camisole électrique.
Le comble de l’artifice est aussi summum de liberté.
Paris, Berlin, Rome et New York leur appartiennent.
Passe une nymphe blonde dans un Tiergarten.
Apparaît en 1993 Maria Casarès, assise sur un canapé, fumant une cigarette, le visage dur, très masculine. C’est le grand amour de Camus.
Voici le visage et le corps des maîtres du monde, des patrons d’empires, de la mode et de l’industrie du divertissement : Helmut Kohl, Larry Flint, Yves Saint Laurent, Gianni Versace, Jeff Koons, Rudy Giuliani, Pierre Cardin, Gianni Agnelli.
Jouant aux petits gardes tenant en laisse des chiens policiers, de redoutables Allemandes narguent maintenant la soldatesque française.
Photographiant le baroque stupéfiant des squelettes de San Severo (Naples), Helmut Newton indique sur quelles profondeurs de pourriture et de mort s’arrachent ses images célébrant sans relâche la beauté et le pouvoir du corps féminin.
En 1981, rendant hommage à Diego Velasquez, le photographe rejoue les enjeux à l’ère mass-médiatique de La Vénus au miroir.
Cette photographie est d’un grand maître de l’art classique.
Le SUMO d’Helmut Newton – édition réduite – œuvre conçue par June Newton, Taschen, 2019

