Michel Fresson, le traducteur, par Bernard Plossu, photographe

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© Bernard Plossu

« On effleure les saisons, les arbres vibrent, le vent murmure… En un mot, Michel Fresson est mon traducteur. » (Bernard Plossu)

Le monde se rétrécit, comme le goût de la nuance et l’effort de civilisation dans la délicatesse.

Pour retrouver le chemin de la volupté et le sens de la profondeur, il nous faut des enchanteurs, des aventuriers de la sensibilité, des maîtres discrets.

Ainsi sont Michel Fresson et Bernard Plossu, dont le travail commun porte une joie, une conscience de la merveille d’être au monde, et de la nécessité d’en témoigner en des images conçues pour traverser le temps impeccablement.

Descendant de Théodore-Henri Fresson (1865-1951), ingénieur agronome ayant inventé le procédé de tirage d’épreuves photographiques sur papier charbon, Michel Fresson, installé à Savigny-sur-Orge, cocréateur avec son père d’une technique de tirages au charbon couleur aux effets somptueux, est décédé cet été, mais la beauté de ses images, qu’elles soient le fruit de collaborations avec Bernard Plossu, Didier Ben Loulou, Dolorès Marat, Cy Twombly ou Sarah Moon (liste non exhaustive), est une preuve par l’art de la survie de l’esprit après la mort.

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© Bernard Plossu

Immédiatement reconnaissable pour sa texture pigmentaire faisant songer aux pictorialistes, le procédé Fresson fait en quelque sorte entrer la photographie dans l’histoire de la peinture.

En contemplant les quatre-vingts images de Bernard Plossu confiées à son ami Michel Fresson, publiées dans le volume Tirages Fresson (Editions Textuel) et datant des années 1970 à nos jours, on comprend ce que le photographe doit à la peinture, qu’il s’agisse de l’œuvre de Claude Monet ou, plus essentiellement encore, aux peintres italiens tels que Telemaco Signorini, Stefano Bruzzi, Raffaelo Sernesi, Angiolo Tommasi, Cesare Bertolotti et Giovanni Fattori (avis aux chercheurs).

Eléments naturels, dialogue de l’ombre et de la lumière, présence de chaque chose, impression de solitude sans angoisse, géométrisation des rapports.

Des paysages à l’os et profondément denses.

Qu’il se promène en Ardèche, au Nouveau-Mexique, à Port-Cros ou à Giverny, Bernard Plossu célèbre le vivant en tant que vivant, ses fleurs de trois fois rien, ses herbes rases ou folles, ses sables caillouteux.

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© Bernard Plossu

Il ne s’agit pas de rechercher le paysage le plus grandiose, mais de trouver le grandiose dans le paysage, qu’il soit naturel ou urbain.

Un coin de rue, un poteau électrique isolé, une glace qui déborde suffiront.

Des chambres d’hôtels modestes, à Livourne, Milan, Palerme : l’Italie est le plus désirable des états d’âme.

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© Bernard Plossu

Très sensible à l’architecture, l’artiste vivant à La Ciotat – l’hommage aux frères Lumière est récurrent dans son œuvre – s’interroge constamment sur notre façon d’habiter le monde, préférant le retrait, la vision rapide, le détail, à la tonitruance des vastes compositions.

En Fresson, ses partitions colorées deviennent de précieuses enluminures, offrant à chaque pan de réalité une chance d’anoblissement.

Les voitures, les canapés, les quais de gare, prennent un relief, une sensualité nouvelle, s’inscrivant dans une atmosphère où les couleurs découpent le réel plus qu’elles ne se déposent en lui, tout en semblant progressivement parfois s’épouser pour forme une unité signifiante.

La porte bleue est ouverte, tout peut arriver, par exemple de rencontrer Edward Hopper, Giorgio Morandi, ou même le visage de Françoise, la photographe, l’aimée.

 Il y a sur la table en bois trois beaux poivrons, trois couleurs, vert, rouge, jaune.

C’est un hommage à Edward Weston et à la douceur de vivre.

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Bernard Plossu, Tirages Fresson, textes de Bernard Perrine et Jeanne Fouchet-Nahas, Editions Textuel, 2020, 80 images, 100 images

Editions Textuel

Exposition à la galerie Camera Obscura (Paris 14e) fin octobre 2020

Galerie Camera Obscura

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