
« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, / Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, / Est fait pour inspirer au poète un amour / Eternel et muet ainsi que la matière. » (Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, poème La Beauté)
Inventeur de l’érotisme photographique pariétal, Thierry Dumont a fait poser nu des modèles, sûrement très amies, ou follement aventureuses, à soixante mètres sous terre, par une température de 14° et 98% de taux d’humidité.

Nous sommes dans la grotte de La Cocalière, aux pieds du parc national des Cévennes, creusée dans les calcaires du sommet du Jurassique.
Les roches datent de plus de 130 millions d’années, quand les belles alanguies de ces profondeurs protohistoriques n’ont que quelques jours, quelques microsecondes.

Se baignent dans la rivière souterraine coulant ici six intrépides naïades, accrochées aux pierres comme des figures de proue.
Les pieds épousent les stalactites, les mains se tiennent aux stalagmites, la danse est érotique, et de fécondité, comme si des concrétions étaient nées des nymphes les adorant en retour.

La nudité est primitive, faisant suinter de bonheur les parois anthropomorphes.
Rêve d’un amour impossible dans les cavités secrètes aux cristaux de sélénite : la nuit regarde.
Les seins sont tendus par le froid, comme les visages altiers des princesses souterraines, algues-femmes couchées sur la découpe très sexuelle des lèvres de pierres.

La voyage au centre de la Terre est un périple au cœur du désir, qui toujours fuit, glisse, échappe, pour se recomposer dans les reflets d’un lac de limpidité.
Elles sont une, deux, trois, quatre, cinq, saphiques et redoutables dans leur solidarité de chair, se chorégraphiant dans les eaux bleutées de la psyché.
Les fesses prolongent les dômes millionnaires, les ventres caressent les courbes calcaires.

Avec Thierry Dumont, grand admirateur de Lucien Clergue, Helmut Newton et Jean-François Jonvelle (liste non exhaustive), l’énergie de la matière s’avère éminemment féminine.
Les peaux nues ont réveillé les forces endormies de la grotte androgyne dans le ballet des corps abandonnés aux rêves de pierre.
Puissantes, les sphinges aux lignes blanches ne cillent pas : « Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants, / De purs miroirs qui font toutes choses plus belles : / Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! »

Mais, danseuses, les muses de Thierry Dumont sont aussi musiciennes, tenant archet et violoncelle contre leur corps.
Dualité, son premier livre, est un dialogue entre femme et musique, entre notes et nudité, pose de ballerine et geste d’instrumentiste.

Sur fond blanc pour la danseuse, et fond noir pour la violoncelliste, deux splendides marionnettes de chair inventent un ballet doucement érotique.
Yeux fermés, les doigts font vibrer les cordes.

Yeux ouverts, la danseuse devient musicienne, et la musicienne danseuse.
Le bois de l’instrument et les chaussons de danse.
Le chignon de l’impeccable danseuse classique et les cheveux déliés de la musicienne aux seins nus.

Qui lira les notes sur la portée entendra les sons de la sarabande.
Qui s’approchera de la perfection des formes sur le papier rêvera d’être à son tour Pygmalion.
Thierry Dumont – Duthy, Mise à nu… Grotte de la Cocalière, Mondial Livre, 2018 – 500 exemplaires numérotés et signés par l’auteur
Thierry Dumont – Duthy, Dualité, 2016 – 500 exemplaires numérotés et signés par l’auteur
