©Stéphane Lavoué
J’ai dit à plusieurs reprises déjà tout le bien que je pense du travail photographique de Stéphane Lavoué sur les hommes, les mythes et les mythologies quotidiennes.
Des grincheux lui reprochent quelquefois son systématisme dans l’art du portrait, les clairs-obscurs dramatisés, le regard informé par la peinture du Siècle d’or espagnol ou hollandais, mais c’est une critique facile quand il faut plutôt admirer l’obstination d’un style, comprendre le geste du mineur de fond tapant inlassablement sa veine, ou celui du pêcheur remontant dans son chalut les mystères de la mer.
Fruit d’une résidence ayant eu lieu à Douarnenez (Finistère), Gant [t] est une confrontation fraternelle avec des âmes de la côte, résistantes, habituées à la démesure et à l’infinie mélancolie des fins du monde.
©Stéphane Lavoué
Kelig-Yann Cotto, conservateur du patrimoine, directeur du Port-musée de Douarnenez, précise : « Gant [t], c’est tout à la fois le gant du labeur, la préposition bretonne qui signifie « avec » et un diagramme de planification des tâches dans le monde du travail. Derrière la syllabe qui claque, dotée d’une finale sourde que souligne l’accident d’une parenthèse, se cache la quête d’un territoire arpenté pendant quelques semaines, à la recherche des stigmates et des témoins de la culture ouvrière de Douarnenez. »
Une veuve noire, des visages âpres, tendus, fissurés, une atmosphère de survivance : nous sommes bien chez Stéphane Lavoué, abordant les êtres et les lieux comme s’ils étaient les éléments d’un conte d’Apocalypse.
On boit ici un verre, comme autrefois le poète Georges Perros, chez l’inusable Micheline au port du Rosmeur, on rêve un peu, avant d’aller planter le couteau pendant plusieurs heures dans le flanc des thons mis en boîte chez Cancerelle.
©Stéphane Lavoué
L’usine génère ses codes, ses bruits, ses souffles et soupirs, c’est un organisme vivant, une pieuvre suçant la moelle des hommes et femmes lui concédant leur force de travail.
Ça crie, ça crisse, ça produit et façonne, ça sent la suie, la sciure, le désir d’en finir ou d’y retourner, comme envoûté.
Ça coupe et ça martèle, ça déchire et ça écartèle.
Il y a en fond de baie des bateaux échoués, abandonnés, éventrés, des kilomètres de cordes pour se pendre, des outils pour s’entretuer.
©Stéphane Lavoué
Avec son bonnet de protection, Christophe, soudeur au chantier naval Glehen, est un personnage de Frans Hals vu de profil.
Les cuirasses des ouvriers du thon sont des armures médiévales, des carapaces, des tabliers d’écailles, des assemblages de verres brisés où laisser le couler le sang des innocents.
Avant que le passé ne passe tout à fait dans les livres d’histoire, il faut que la cruauté s’exerce, que la violence s’exprime, que les corps s’épuisent.
©Stéphane Lavoué
Gant [t] est le fantasme d’un port sombrant les armes à la main.
Stéphane Lavoué, Gant [t], texte (français/breton) Kelig-Yann Cotto, coordination éditoriale Patrick Le Bescont, conception graphique Laurence Roveri, Filigranes Editions, 2021
©Stéphane Lavoué
Exposition visible au Port-musée de Douarnenez – vérifier les dates, et les polices vaccinales