« Quand j’écris je pense à Bernard Stiegler, d’abord à lui, et puis je me souviens de Dominique de Roux, ensuite. Qui était un éditeur, un essayiste, un romancier de droite entre 1966 et 1977. Un homme de lettres et un révolutionnaire obsédé par le nazisme, par la fin d’un monde venu de l’enfance. J’ai relu L’ouverture de la chasse, son livre de 1968, et l’idée du roman à écrire m’est tombé dessus, comme une évidence : il faut écrire et tout rassembler dans le livre, les noms, les choses, les idées, les amours. »
Il est à craindre que les plus beaux noms s’éloignent désormais de notre vilaine époque à une vitesse vertigineuse, alors que nous avons précisément besoin d’eux pour la penser : Antonin Artaud, Georges Bataille, Pierre Guyotat, Michel Surya.
Elaborant son texte Malcom écrit comme une machine désirante, un chaudron de magie blanche et noire où se côtoient aussi bien Hermann Broch, Pier Paolo Pasolini, Robert Antelme, Marguerite Duras, Hannah Arendt, Jean-Noël Vuarnet, Isidore Ducasse, Gérard de Nerval, Witold Gombrowicz, Victor Hugo, Philippe Blanchon, Friedrich Nietzsche et William Shakespeare (liste non exhaustive), cet ouvrage au dispositif singulier, ne distinguant pas entre prose, poésie et essai, est selon l’auteur un « nouveau rapport sur le mal / L’écriture et la mort ».
« Roman, écrit-il, est le nom propre de la vie vraie. Le roman commence nécessairement par la mort du consul, sous le volcan, selon Malcom Lowry. »
Conçu sous l’autorité de son ami Bernard Stiegler, décédé en août 2020, Malcom écrit se veut « mouvement ouvert de la réflexion » (Georges Bataille), soit sauvagerie de poésie, révolution, amour.
« Le roman moderne recommence avec Hannah Arendt sur Eichmann, mais il commence aussi avec Robert Antelme et le kapo ou avec Malcom Lowry et la guerre d’Espagne : les armées du mal sont au rendez-vous de ma littérature de guerre. »
Roman vécu, ou rien.
Cri, ou rien.
Le volcan, ou rien.
Nous sommes en temps de peste – que peut l’écriture ? Elle peut.
« Artaud en 2020 est le Hamlet de notre machine. La machine de lecture des plaines et des volcans qui font paysage sauvage chez Malcom Lowry, pays à marcher de haut en bas, long et large, pour assumer notre théâtre de la cruauté, notre charge de brigade légère. »
Ivresse, danse, regard perçant, traversée des langages faux.
« Après la vie à l’époque du virus, ce ne sera vraiment pas le retour à la démocratie, ce sera la continuité française, fasciste et postcritique. Sauf si Nous restons à la maison. »
Mais vous délirez Monsieur Jugnon ?
« Sérieusement, qui ne savait pas en France que depuis 1945 le libéralisme, le capitalisme, le fascisme et la république bourgeoise constituent un système politique qui terrorise, rend fou et malade, torture et tue à la fin le peuple au nom de l’argent et du dieu ? »
Enfants de Pétain !
Avec Antonin Artaud, rêver le théâtre révolutionnaire : « Un théâtre de sang, un théâtre qui à chaque représentation aura fait gagner corporellement quelque chose aussi bien à celui qui jour qu’à celui qui vient voir jouer, d’ailleurs on ne joue pas, on agit. Le théâtre c’est en réalité la genèse de la création. Cela se fera. »
Alain Jugnon – son père a connu l’abjecte guerre d’Algérie – ne veut pas de messe, encore moins de messes basses – mais des phrases-mondes -, et surtout pas du Dieu des chrétiens, c’est son antienne athéologique appelée aussi axe Artaud-Guyotat.
« Jusqu’à ce que tu te mettes à rire, écrit Michel Surya dans Le mort-né, cité par son humanimalami en guise d’autoportrait. Tu as ri un jour d’une façon qui n’a plus permis qu’on rie de toi, jamais. Ton mépris fut tout à coup plus grand que tous les mépris qu’on t’avait montrés. Tu as aussitôt mesuré combien on redoutait le mépris que tu montrais. (…) Tu te ris depuis de tous les maîtres, et toujours avec le même plaisir que tu eus enfant de découvrir qu’il n’y en a pas à n’avoir peur qu’on rie de lui. »
Après le christianisme, l’auteur de L’ivre Nietzsche (La Nerthe, 2019) pense littérature matérielle et concrète, symbole rotatif (Gilles Deleuze), disjonctions et connexions ad infinitum, soit « nouveau chant humain ».
« Afin que la pensée des flux tienne dans un livre et dans un seul, écrit l’essayiste combattif, il faut une écriture vite et vive : le genre d’écriture que possédait, j’imagine, un Isidore Ducasse quand, en relisant les chants de Maldoror, il avait l’idée des Poésies. Le temps lui était compté, d’une manière ou d’une autre, et le choix du fragment et de la citation comme situation poétique efficace contre le vieux Dieu régnant lui apparut, semble-t-il, comme la mise en scène la plus rapide et vivable du nouveau chant humain. »
Une littérature tohu-bohu à la hauteur du néant.
Alain Jugnon, Malcolm écrit, histoire de textes, de spectres et de putains, Le théâtre des matières 1, Propos 2 Editions, 2021, 148 pages