La photographie française des années 70, la politique des auteurs

Roger Vulliez, 1974

Il fallait inventer d’autres visions, d’autres codes culturels, se détacher des maîtres.

Il fallait s’amuser, vivre à fond, entrer dans la belle aventure d’une subversion du médium en révolutionnant les pratiques artistiques et les esthétiques dominantes : cette période de libération peut s’appeler, selon la dénomination de Claude Nori, Carole Naggar, Hervé Le Goff et Coline Olsina, dans un livre grand format paru chez Contrejour, La Nouvelle Photographie Française des années 70.

Carole Naggar s’interroge : « Est-ce la nostalgie qui parle ? Il me semble que ces années-là étaient légères, ouvertes, curieuses. La photographie était toute neuve. Elle avait parfois le sens de l’humour. Elle n’était pas un objet, mais, sans poids, sans prétention, elle ressemblait à un message ailé. Elle ne se vendait pas : on l’échangeait plutôt contre un texte, un repas. Elle ne figurait que dans quelques livres. On la mettait rarement au mur, et on ne parlait pas de vintage. »

Pour commencer – on peut aussi se référer en bibliothèque spécialisée l’ensemble des numéros du journal-magazine Contrejour et les travaux du graphiste Roman Cieslewicz -, allons, à la fin de l’ouvrage, consulter la biographie sélective des livres français de photographie parus dans les années 70 – une époque, où, comme Lucien Clergue (Née de la vague, Editions Pierre Belfond, 1968) on pouvait encore imprimer en héliogravure.

Chinon, 1979, Bernard Descamps

On y retrouve le nom des géants de l’époque (certains sont toujours en pleine activité), Henri Cartier-Bresson (A propos de l’URSS, 1973), Jean Dieuzaide (Mon aventure avec le brai, 1974), Jean-François Bauret (Portraits d’hommes nus connus et inconnus, 1975), Josef Koudelka (Gitans, la fin du voyage, 1975), Jean Gaumy (L’hôpital, 1976), Claude Nori (Lunettes, 1976, et Je vous aime, 1979), Claude Batho (Le moment des choses, 1977), Guy Le Querrec (Quelque part, 1977), Arnaud Claass (Contretemps, 1978), Claude Dityvon (Marée noire 78, 1978), Raymond Depardon (Notes, 1979), Bernard Plossu (Surbanalisme, 1972, et Le voyage mexicain, 1979), Bernard Faucon (Les grandes vacances, 1980).  

Dans son beau texte, Carole Naggar évoque la découverte de photographes étrangers permettant d’opérer pour les artistes français un décentrement, les Italiens Ugo Mulas, Mario Giacomelli et Luigi Ghirri (voir actuellement au Jeu de Paume de Paris leurs travaux exposés dans Renverser ses yeux, autour de larte povera), les Espagnols Alberto Garcia-Alix, Ouka Leele et John Fontcuberta, les Néerlandais Paul den Hollander, Jan Dibbets et Ed Van der Elsken, les Suédois Christer Strömholm et Anders Petersen, les Japonais (si nombreux) Daido Moriyama, Shomei Tomatsu, Kishin Shinoyama, Masahisa Fukase, Issei Suda, Nobuyoshi Araki, Keiichi Tahara…, sans oublier tous les photographes venus d’Amérique latine, Martin Chambi, Graciela Iturbide, tant d’autres encore.

« Au tournant des années 1970, explique Coline Olsina, une nouvelle génération dynamita la photographie. Laboratoire d’expériences multiples et subversives, cette nouvelle photographie puisait son inspiration dans les grands courants de la pensée qui irriguait la société comme le nouveau roman, la psychanalyse, le libération sexuelle ou encore la culture alternative. S’inscrivant essentiellement dans une dynamique européenne et nord-américaine, elle apparut comme un moyen d’expression propre à interroger les problèmes de la société tout en libérant l’imaginaire intérieur de ceux qui la pratiquaient. »

Gladys, 1976

La chercheuse – historienne de la photographie – note l’influence de la nouvelle agence Viva, créée en 1971 – Gamma, Sipa, Sigma et Magnum relevaient davantage du photojournalisme -, dans la promotion d’une écriture photographique de l’ordre du nouveau reportage, de la subjectivité affirmée et de la poésie de l’ordinaire, mais aussi du soutien du conservateur/rénovateur chargé des collections de photographie à la Bibliothèque nationale de France, Jean-Claude Lemagny.

Maintenant, assez de texte, place à l’enchantement.

A l’enfant aux taches de rousseur de Michel Thersiquel.

A la bacchante de Monique Tirouflet.

A la nuit parisienne si sexy de Christian Sarramon.

Aux jeux de corps de Eddie Kuligowski.

Aux facéties d’Hervé Gloaguen, de Charlie Abad, de Guy Le Querrec, de Bernard Descamps, de Philippe Salaün et de Claude Nori (le savoir rire comme savoir vivre).

Aux jeux identitaires de Marc Giloux.

A la tendresse de Jean-Pierre Chopin et de Claude Batho.

Aux expérimentations et à l’érotisme de Denis Roche.  

Au sentiment de solitude ontologique d’Arnaud Claass.

Au sentiment poétique de l’existence traduit au 50mm par Bernard Plossu.

Au fracas de l’Histoire vu par Gilles Peress et Yves Jeanmougin.

A la dynamique des couleurs de John Batho, Harry Gruyaert (Français ?), Bernard Faucon, Jacques Sierpinski et Patrick Dewarez.

Oui, malgré ses contempteurs, la photographie française existe, et c’est passionnant.  

70’ La Nouvelle Photographie Française, sous la direction de Carole Naggar, Claude Nori, Hervé Le Goff, Coline Olsina, conception graphique et réalisation Dominique Mérigard-Intensité, Contrejour, 2022, 224 pages

https://www.editions-contrejour.com/catalogue/

https://www.editions-contrejour.com/produit/nouvelle-photographie-francaise-70/

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