
©Julien Coquentin
« Il a été reconnu, dans des expériences multipliées, que la noix vomique est un poison très actif et très subtil contre les quadrupèdes ; et il serait extrêmement avantageux de pouvoir l’employer d’une manière efficace à la destruction des loups, dont les ravages, dans ce département, sont incalculables. » (le Préfet du département de l’Aveyron, 5 janvier 1807)
Il y a une continuité de visions entre la photographie de Julien Coquentin et son écriture, son univers fictionnel utilisant avec une même intensité poétique les deux médiums.
Chez lui, la légende n’est pas qu’un ordre de rêverie, c’est aussi une réalité.

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Son cinquième livre publié chez son éditeur historique Lamaindonne – la fidélité mutuelle est remarquable -, Oreille coupée, s’interroge sur la présence des loups dans les espaces naturels, revenus dans notre pays par l’Italie et le Mercantour, et jusque dans le Finistère désormais.
En son livre plane une présence, qui n’est pas une férocité, simplement l’œil d’un animal nous observant bien plus que nous ne parvenons à le contempler.
Oreille coupée pourrait être le livre d’un animal sauvage possédant le don de manier un appareil photographique.
Julien Coquentin semble voir les paysages et l’ensemble des vivants à travers le regard du loup, à la fois calme et aux aguets.

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Alternant sur trois papiers différents plusieurs types d’images, dont des cyanotypes à la très belle substance hypnagogique, le photographe ne traque pas le loup, mais l’attend, espérant être honoré de sa venue.
On utilise dans certains endroits des Alpes le bruit du canon pour faire fuir les loups, le sauvage n’est pas toujours là où on le croit d’abord.
Ouvrant et terminant son livre par des séquences d’images sylvestres, des sous-bois d’atmosphère mystérieuse, des nocturnes et des lumières d’héraldique, Julien Coquentin comprend la peine de la louve à l’oreille coupée, condamnée à fuir la hargne humaine, avant que de revenir, petit à petit, à pas de contre-danse.
Ecrit sous forme de carnet de bord, et analysant des archives, le texte accompagnant les photographies est cette fois de régime documentaire.

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Dans la forêt de Brameloup, dans l’Aubrac, un mâle de l’espèce canis lupus est de retour, au moins depuis 2015.
Mais où est donc précisément cet animal fabuleux ? Dans quelle douceur d’aube ? Dans quels taillis enténébrés ?
Les fermes sont abandonnées, impossibles à réparer.
Il y aura peut-être demain davantage de loups que d’hommes ayant échappé au suicide.
Ici dans l’Aubrac – mais n’est-on pas dans le Wisconsin ou dans le Montana ? -, on se souvient, la peur persiste, on voit des carcasses de brebis éventrées.

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Le fermier Albert Pégorier, interrogé le 13 août 2021, se rappelle : « C’est agressif un loup, on a beau dire. Ça griffe les yeux des génisses, certaines il leur manquait un bout de queue que le loup s’y était accroché sans doute après. Et puis, celles qui avaient un trou à la place du cou et la ventaille au-dehors avec le cœur qui manquait. Sur l’une, il avait mangé toute une cuisse et la colonne vertébrale. »
Le photographe est un chercheur de traces, c’est un pisteur, moins savant sûrement que le naturaliste.
Julien Coquentin écrit le 19 mai 2022 : « Nous le savons tous, le loup, depuis la moitié du XIXe siècle, a cessé de s’attaquer aux êtres humains. La bête est craintive. Sa population, réduite à quelques centaines d’individus, occupe un couvert forestier dense au gibier abondant. »

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Le fermier Patrice Lassailly poursuit avec beaucoup de pertinence et de clarté (7 octobre 2022) un plaidoyer en faveur des loups, dont je ne peux reproduire ici l’ensemble du propos (il faut se procurer le livre) : « Le loup ? Tu connais la musique. Tu as vu comment c’est compliqué à approcher un loup, comment c’est craintif, comment c’est intelligent. Le loup est malin comme un renard. Il faut privilégier la présence des chiens et le fusil doit être la dernière des solutions. Une harde de loups ne se multiplie pas à l’infini. Sur un territoire donné avec une quantité de bouffe données, la multiplication des petits pains cesse. Au contraire des herbivores, tous les grands prédateurs s’autorégulent. (…) Imaginer les loups se multiplier et devenir dangereux relève du fantasme. »
Eloge des paysans comme gardiens de la terre, et des loups comme souverains de l’immémorial, Oreille coupée est aussi une approche très belle de la précarité et de la puissance – réaliste/onirique -de la photographie.

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Sur les images d’un piège photographique apparaît un renard, suivi d’un loup.
Julien Coquentin se souvient de goupil et Ysengrin, l’histoire heureusement continue avec cette nouvelle branche d’un texte médiéval prolongé.

Julien Coquentin, Oreille coupée, Lamaindonne, 2023, 152 pages

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La série Oreille coupée est exposée au Carré d’Art (Chartres de Bretagne), du 17 mars au 3 mai 2023
http://www.galerielecarredart.fr/drop-menu/en-cours-2

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