
©Fondation Henri Cartier-Bresson
J’apprends le décès de l’immense Agathe Gaillard, pionnière en France, avec Michèle Chaumette et Françoise Paviot, dans la reconnaissance de la photographie comme élément à part entière du marché de l’art, alors que je lis ses paroles dans le volume Henri (2005), livre conçu par Brigitte Ollier pour célébrer la mémoire du non moins génial Henri Cartier-Bresson, disparu le 3 août 2004.
La journaliste du quotidien Libération a ainsi demandé à quelques témoins considérables de raconter en une page leur rencontre avec le cocréateur de l’agence Magnum.
L’ouvrage – merci Carole Bellaïche de me l’avoir offert – n’est surtout pas un mausolée, mais une manière souple d’aborder un auteur majeur de l’histoire de son art.
Ecrire et danser avec le verbe comme on compose une image au Leica, dans l’insoutenable légèreté de la précision des souvenirs marquants et des traits qui les rapportent.
La flamme se transmet, elle s’appelle Yvonne Baby, Claire Devarrieux, Kiyoko et Didier Brousse, Bernard Plossu, et tant d’autres.
Si peu de témoignages font part de l’éthique surréaliste chez Cartier-Bresson, c’est-à-dire de la matrice art-amour-poésie-révolution-hasard, la passion pour la peinture et dessin de l’homme portant un foulard de cowboy (un bolo), un bandana, ou une mince étoffe en soie autour du cou, est plusieurs fois rappelée.
On le voit au Louvre copier des tableaux de maîtres, faire l’éloge du format rectangulaire contre celui du Rolleiflex, se montrer très sévère envers les jeunes photographes voulant lui voler son image, alors que lui-même n’aura cessé de capturer corps et visages.
François-Marie Banier commence ainsi son texte : « Je voulais faire un portrait d’Henri Cartier-Bresson, dont son père me parlait, enfant, comme du maître de la géométrie. Je l’ai attendu devant chez lui. Il est sorti avec sa casquette de titi parisien, son blouson de coureur automobile et son pantalon de grand bourgeois. Il avait des yeux d’enfant durcis. Il m’a insulté, comme il a insulté tous les photographes qui ont fait ce qu’il a toujours fait dans sa vie : prendre le portrait de l’autre sans le prévenir. »
Agathe Gaillard, dont l’époux le photographe Jean-Philippe Charbonnier parle pour désigner l’auteur d’Images à la sauvette de trésor national vivant à l’état pur, se souvient d’une conversation dans sa galerie rue du Pont Louis-Philippe (Paris) avec le maître André Kertész : « Je n’avais jamais vu, de façon si évidente, une chose pareille : deux génies qui ne se dissimulaient plus, qui communiquaient librement, qui se comprenaient, eux que personne ne comprend jamais très bien, ce qui doit être assommant. »
Paolo Roversi se rappelle l’avoir côtoyé à l’enterrement très confidentiel de Man Ray sans oser faire son portrait.
Le mari de Martine Franck était un homme de grande élégance, adepte des tirages doux – surtout pas de dramatisation à l’américaine -, aimant les belles femmes, Bonnard et Giacometti, et son ami d’enfance André Pieyre de Mandiargues, cet autre messager psychopompe.
Ferdinando Scianna : « Nous étions ensemble en Sicile, à Palerme, dans cet hôtel magnifique, Villa Igiea, où Henri pense avoir été conçu. Après que ses parents ont essuyé une tempête, pour se consoler, ils ont décidé de produire le petit Henri, et c’est pour cette raison qu’Henri prétend être sicilien, comme moi ! »
Un homme pétillant né d’une tempête, un souverain, voilà tout HCB.

Brigitte Ollier, Henri, conception graphique Patrick Le Bescont, Filigranes Editions, 2005, 64 pages
https://www.filigranes.com/livre/henri/
Texte de Brigitte Ollier, Djan Seylan, Hélène Véret, François-Marie Banier, Sarah Moon, Agathe Gaillard, Jean-Philippe Charbonnier, Paolo Roversi, Jean-Max Toubeau, Françoise Paviot, Annette Doisneau, Frank Horvat, René-Jacques, Claude Bernard, Guy Le Querrec, Robert Delpire, Marc Riboud, Raymond Depardon, Paul Virilio, Agnès de Gouvion Saint-Cyr, Jean Leyris, Bruno Barbey, Sabine Weiss, René Burri, Yvonne Baby, Agnès Sire, Jean-Claude Gautrand, Maurice Coriat, Ferdinando Scianna, Voya Mitrovic, Gérard Macé, Marie-Thérèse Dumas, Georges Fèvre, Jean-Luc Monterosso, Yoshi Takata, Jean-Claude Coutausse, Sibylle Pieyre de Mandiargues, Maryse Cordesse, Michelle Vignes, Jean Leymarie, Sebastiao Salgado, Laura Serani, Lucien Clergue, Robert Pledge, Louis Pons, Daniel Mordac, Paulo Nozolino

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