Ceci n’est pas un conte de Noël

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© Renaud Morel

« Ça fait dix mois qu’on est là. Je suis venue avec ma mère et mon père. On est venus tous ensemble.

On ne peut vivre là-bas. La guerre, les massacres, la mort, la vie est devenue dure, j’ai perdu un des membres les plus chers de ma famille, c’est mon frère, en Irak. C’était mon unique frère, c’était le pilier de la famille, on comptait sur lui. Il ne nous reste plus rien qui nous motive de rester là-bas. Mes parents ont peur pour moi, qu’il m’arrive aussi quelque chose. On a laissé notre pays, on a laissé tous nos souvenirs, on a laissé notre vie. On est venus ici, en exil.

A chaque début de nouvelle vie, on rencontre des difficultés. On est venus ici dans un lieu nouveau pour nous. On n’a plus d’habitudes, ce n’est pas la même société. C’est un milieu social différent, on apprend petit à petit. On est en train d’apprendre la langue. Et puis, il y a des gens qui nous aident, le temps qu’on finisse les démarches administratives ?

Il y a une grande différence des modes de vie, ce n’est pas pareil. Avant, on avait l’habitude de vivre unis avec les voisins, comme une seule famille. Ici, il faut prendre rendez-vous pour aller chez les voisins ! Et même si on appelle, est-ce qu’ils sont prêts à nous recevoir ?

Mais du côté de la sécurité, de la tranquillité, ici, on peut sortir, rentrer tranquillement, sans peur. En Irak, la peur nous accompagnait.

Moi, j’ai étudié cinq ans en pharmacie, en Irak. J’ai obtenu mon diplôme et je suis venue en France. J’espère travailler là-dedans. Mais c’est dur parce qu’il faut bien apprendre la langue française avant. Après, je dois faire l’équivalence pour mes diplômes, pour pouvoir travailler, pour compléter mes études. Il faut que je travaille bien pour réussir mes diplômes. Avec mon diplôme actuel, ce n’est pas facile de retrouver du travail tout de suite. »

Ce récit est le témoignage de Maryam, jeune femme de vingt-trois ans née en Irak, et arrivée en France en 2015. Il inaugure la partie « Etre déraciné » d’un livre en comportant quatre (« Choisir de partir, choisir la France », « Arriver, être accueilli, s’installer », « Etre accueilli, être accepté, s’intégrer, avancer, transmettre ») intitulé Mes voisins, Récits et anecdotes de la migration, publié aux éditions La Passe du Vent.

Alasane et Mamadou, Atelier sociolinguistique, Le Perrier, Annemasse, mars 2017
Chez Hafsa, photos de famille, Vaulx-en-Vélin © Benjamin Vanderlick
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« Mine » fauchant un champ en Turquie, photo de famille scannée de l’auteure

L’ethnologue et photographe Benjamin Vanderlick en est le maître d’œuvre, ayant incité des habitants, dans les quartiers populaires de Lyon, Bron, Vaulx-en-Vélin, Saint-Etienne et Annemasse, à recueillir la parole d’un de leurs voisins, démarche soutenue par le collectif lyonnais Service Compris.

Fruit d’une expérience participative, les paroles rassemblées ont gardé leur forme orale. Elles offrent le portrait modeste de migrants installés en France. Elles sont des manières de liens, les visages de cette diversité française qui est une chance pour tous.

La préface de Mes Voisins est du poète Yvon Le Men, attentif au « nouveau monde qui va et vient, bon gré mal gré, entre les murs et les portes, souvent battantes ».

Mamadou-voisins
© Renaud Morel

D’une autre façon, la poétesse américano-libanaise Etel Adnan exprime aussi l’exil, et le besoin d’une lumière neuve : « Les noces de l’histoire avec le café que nous buvons, en nos jours sans cesse plus courts, éveillent notre besoin de réinventer l’amour. » (Nuit, éditions de l’Attente, 2017)

Aux déracinés, il reste le refuge précaire, trompeur et salutaire de la mémoire, cette « colle » : « Notre identité est très vraisemblablement ce que notre mémoire décide de retenir. »

Alasane et Mamadou, Atelier sociolinguistique, Le Perrier, Annemasse, mars 2017
Goundoba, Saint-Etienne  © Benjamin Vanderlick

Fantasme de l’origine ? « La mémoire coud ensemble des événements jusque là jamais liés. Elle remanie le passé et nous le fait savoir. »

Entre prose, poésie et philosophie, Eten Adnan questionne en errant la nuit épaisse, débordante d’être et de fièvre.

« Billy the Kid a une /     balle dans la tête, / comme le garçon irakien /   qu’il tua, /                          volontairement. »

Voisin, regarde avec moi tomber les ténèbres, et ne me quitte s’il te plaît qu’au petit matin de renaissance.

Un homme, tout l’homme.

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Benjamin Vanderlick, Mes Voisins, Récits et anecdotes de la migration, textes de Velibor Čolić  et Yvon Le Men, illustrations de Renaud Morel, éditions La Passe du Vent, 2017, 132, pages

Editions La Passe du Vent

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Etel Adnan, Nuit, traduit de l’américain par Françoise Despalles, éditions de l’Attente, 2017, 70 pages

Editions de l’Attente

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© Renaud Morel

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© Renaud Morel

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