
Né à Brooklyn en 1944, installé à Paris, Richard Kalvar, cofondateur en 1972 de l’agence Viva, intègre en 1975 l’agence Magnum.
Son travail est étonnant, drôle, profondément humain sans mièvrerie.
Abusivement assimilé au mouvement de la street photography, Richard Kalvar pose sur le monde un regard facétieux, plus proche de la mise en scène que de l’immédiateté hasardeuse.
L’enjeu n’est pas de documenter la dévastation en cours, comme tant d’autres, mais de relever les potentialités comiques des animalcules humains.

Il y a chez lui du burlesque dans les situations, les attitudes, les visages.
On n’est jamais loin du fou-rire, quand l’absurde se charge de bouffonnerie involontaire.
L’humanité que contemple et aime, en noir & blanc, comme au cinéma muet, Richard Kalvar est peuplée de solitudes, souvent à deux, et d’une façon d’assumer, à la façon de Diogène de Sinope, appelé aussi Diogène le chien, la dureté de l’existence en la retournant en gestes modestes de gloire.
Le haut est bas, le bas est haut, l’enfance est un paradis à retrouver.
Chaque image est chez lui conçue comme une saynète empruntant ses codes à celui du théâtre : quiproquos, dialogues de sourd, jeu avec les accessoires.

Cet homme portant une petite table sur la tête, c’est le sérieux William Burroughs tournant dans un film de Beckett.
Le monde est une vaste scène où chacun tente de jouer un rôle qui le dépasse.
Nous sombrons oui, mais avec un grand chic et un sens aigu de la dérision.
L’instant décisif est pour Kalvar celui où chacun trouve sa juste place dans le théâtre des jours, maintenant une distance d’avec son prochain, tout en partageant avec lui, solidairement, un sentiment de chute possible.

On tente de se tenir debout, mais il n’est pas certain que la bipédie nous définisse vraiment.
Au zoo du bois de Vincennes, un ours observe un congénère (empaillé ?) se fendre la gueule en se frottant le dos contre des pavés.
A Rome, New York, Paris, Palma de Majorque, La Louvière, Richard Kalvar cherche à saisir ces moments où, sans nous en rendre compte, la maîtrise de nos comportements nous échappe.

Sa photographie est métaphysique, à la façon d’un Giorgio de Chirico faisant le pitre malgré lui.
L’artiste n’apprécie ainsi jamais tant les personnages sérieux, impeccablement costumés, que pour apercevoir en eux des acteurs qui s’ignorent.
Pour apprécier le grand rire froid du grand Kalvar, un Photopoche vient de paraître, qu’il serait dommage de ne pas emporter en vacances, ne serait-ce que pour sourire de soi quand nous pensons rire des autres.
Photopoche Richard Kalvar, introduction d’Hervé Le Goff, Actes Sud, 2018
Richard Kalvar – Magnum photos