Jean-Jacques Lequeu, dessinateur en architecture, et enchanteur

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« Ce n’est pas notre intention de donner la clef de lecture de l’énigme Lequeu. Nous pouvons seulement affirmer que Jean-Jacques Lequeu « architecte », « assis de bibliothèque » du XVIIIe siècle, existe seulement à l’intérieur des bibliothèques. »

Jean-Jacques Lequeu (1757-1826), architecte visionnaire et « révolutionnaire » n’ayant jamais construit, est en effet une énigme.

Issu de l’école gratuite de dessin du peintre J.-B Descamps à Rouen, ce dessinateur extrêmement talentueux a fait l’objet d’une thèse de doctorat menée par Philippe Duboÿ, publiée d’abord en anglais à Londres en 1986 (Thames and Hudson), puis aux Etats-Unis (MIT Press) et en français (Editions Hazan) en 1987.

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Les éditions Gallimard en offrent aujourd’hui une version amendée et augmentée à l’occasion d’une exposition ayant lieu au Petit Palais (Paris).

Récemment montrée au musée d’Orsay par Annie Le Brun (exposition Sade. Attaquer le soleil, 2014), son œuvre intrigue, éblouit, suscite d’ardents fantasmes.

Philippe Duboÿ construit son livre comme une vaste enquête au ton très personnel et de nature autobiographique, liant son destin de chercheur (à Venise, Rouen, Paris) à celui du recherché, créant des continuités d’autant plus réjouissantes qu’elles sont inattendues, associant, dans une lecture tropologique de son œuvre, Jean-Jacques Lequeu à Marcel Duchamp (« Etants donnés, l’image emblématique d’une femme nue allongée, les jambes écartées, le sexe béant, éclairée à la lumière du gaz par des « quinquets à bec », en un mot, « l’éclairage au gaz »… »), en passant par Raymond Roussel, Piranèse, Roberto Matta, Italo Calvino Michel Foucault, Carlo Scarpa et Jean-Christophe Bailly (liste bien entendu incomplète et sans ordre chronologique).

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Il y a un gai savoir Lequeu, se dessinant par exemple avec des seins de femme, qui enchante constamment.

« En tant que fiction l’œuvre de Lequeu, fruit, à première vue, d’une imagination déréglée, s’inscrit donc parmi une « certaine encyclopédie chinoise » ; la monstruosité de Lequeu tient au fait qu’il construit un espace où l’énumération exagérément encyclopédique ruine la représentation classique : véritable jeu de massacre ! »

Excellant dans l’art du dessin, l’artisan Lequeu devint artiste, capable d’allier comme dessinateur en architecture des plans à peu près parfaits, et des ornements d’immense sensibilité.

L’ambition est ici d’être à la mesure de l’Encyclopédie et de la folie, à hauteur d’un seul homme, du rassemblement de la totalité des connaissances.

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« Jean-Jacques Lequeu, analyse Philippe Duboÿ, s’inscrit dans l’histoire, avant, pendant et après la Révolution, au moment où celle-ci a marqué l’avènement de la société moderne, bourgeoise, capitaliste. Son témoignage, cru et obscène, éclaire d’un jour nouveau la division sociale du travail à cette époque de transition. Le pittoresque de ses écritures nous révèle des appareils idéologiques comme l’Encyclopédie, l’école gratuite de dessin de Rouen, l’académie provinciale, les loges maçonniques, l’Ecole polytechnique, le bureau du Cadastre ou les bureaux des Bâtiments civils. (…) Il faut donc regarder, lire toute l’œuvre de Lequeu comme un supplément frivole à l’Encyclopédie de Diderot-d’Alembert. »

L’œuvre Lequeu est une machine désirante, associant aux dessins des cataractes de textes et d’emprunts livresques dans une logique de débordement très théâtral.

A la façon de Rabelais, l’artiste est un adepte du rire souverain, de la science des figures alliée à la lascivité des scènes.

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Lequeu monte, assemble, bricole, construit des temples, s’amuse de ses calembours visuels, jouit de ses exubérances.

Proche dans sa conception du bonheur et de l’organisation de la vie sociale du philosophe, économiste et socialiste utopique Charles Fourier (le castor pourrait être leur animal totémique), mais aussi du génial maître de cuisine Brillat-Savarin (1755-1826), il remplace aisément la nature par la campagne (phalanstère ou palais champêtre ou temple de l’amour pour lesquels des godemichets peuvent servir de clefs aux portes et fenêtres des bâtiments).

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Contre l’appropriation du savoir par la bourgeoisie poliçant les corps, Lequeu, comme Duchamp, plongent leurs spectateurs, selon l’impeccable logicien Duboÿ, dans un réel absolu (Lacan).

Et lisons ceci, pour ne surtout pas conclure (nous ne sommes encore qu’au début d’une enquête) : « L’œuvre de Lequeu, autobiographique de bout en bout, se révèle petit à petit au fil de la lecture comme » une véritable detective story autour d’un cadavre qui n’est autre que celui de Le Corbusier sous l’apparence d’une curieuse Diane qui dort au fin fond d’un musée américain. »

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Philippe Duboÿ, Jean-Jacques Lequeu, Dessinateur en architecture, Gallimard, 2018, 322 pages

Site Gallimard

Exposition Jean-Jacques Lequeu au Petit Palais (Paris), du 11 décembre au 31 mars 2019

Petit Palais

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Se procurer le volume Jean-Jacques Lequeu

 

 

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