
Ces deux-là, la vie ne les a pas épargnés, ces deux-là sont les plus beaux du monde.
Ils s’appellent Claude & Lilly, amoureusement rassemblés par l’esperluette de Vincen Beeckman, qui les a rencontrés, et les a photographiés avec beaucoup de tendresse, contre les machines de l’intelligence artificielle, l’anthropocène, et les misérables prêcheurs de détestation.
Laure Vouters publiait l’an dernier en images la belle histoire de Serge & Jacqueline (éditions Sophot). Il semble que les pauvres, les ouvriers, les oubliés, aient beaucoup de leçons à nous donner, nous les enragés du vide.

Claude Van Halen & Liliane Maes s’embrassent, se frottent, se cajolent.
Tête contre tête, commissure du coude contre nuque, bouche contre bouche.
Oui contre, tout contre.
Dans la tempête, dans la rue, chacun est pour l’autre un amer, un remorqueur de haute mer, une bouée, une boussole, une chaleur.

Il ne faut pas se quitter, ne pas lâcher sa planche de salut. Dériver peut-être, mais ensemble.
Le regard est un soutien, une confirmation, un building de trente-six étages où trouver refuge.
Claude arbore moustache ou barbe, et parfois se rase. Tous deux fument, portent des jeans, des pulls en laine bien chauds, un tee-shirt rouge, ils sont nus l’un pour l’autre. Ce sont des jumeaux cosmiques, mâle et femelle.
Vincen Beeckman les a photographiés de 2015 à 2018, jusqu’à ce que la mort emporte Lilly.

Ce sont vingt-quatre tableaux cadrés serrés, vingt-quatre fragments sauvés du désastre, vingt-quatre preuves d’atomes en fusion. Pas de décor, du sentiment brut.
Pas de longs blablas, de la relation, dans le froid, dans la maladie, et au-delà.
Claude & Lilly, c’est un don/contre-don, une éthique de photographe – Vincen Beeckman est aussi responsable de la programmation photo depuis 2002 du centre d’art Recyclart à Bruxelles -, n’abandonnant pas les quartiers et les délaissés pour la seule reconnaissance institutionnelle, soucieux bien au contraire d’ouvrir les portes à qui ne les franchit d’habitude pas.
L’enjeu est ici de continuer à faire société ensemble, et de ne surtout pas faire du geste artistique un ghetto pour happy few.
L’art pensé comme émancipation doit se vivre et se pratiquer au quotidien, pour tous, par tous.

Claude & Lilly est un petit livre fragile (Art Paper Editions), discret, modeste, mais c’est pourtant une leçon de vie.
Une exposition a été vue à Toulouse, est actuellement en escale à Charleroi, puis partira à Gand. Il serait bien qu’elle circule partout ailleurs.
Avis aux programmateurs.
Vincen Beeckman, Claude & Lilly, Art Paper Editions, 2019, 36 pages – 500 exemplaires
