Le passage des frontières, par Yvon Le Men, poète

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« Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons le moyens » (Mahmoud Darwich)

Après Une île en terre consacré au hameau et aux rêveries de son enfance (2015), puis en 2017 Le poids d’un nuage (les paysages bretons, les lectures, la peinture), Bruno Doucey a publié en 2018 le dernier volume de la trilogie de nature autobiographique du poète Yvon Le Men, Un cri fendu en mille.

Sous-titre : « Les continents sont des radeaux perdus, 3 »

Il s’agit cette fois de grands voyages, des vastes espaces du dehors, de visages nouveaux, en Europe, et de plus en plus loin.

Un cri fendu en mille rencontre le monde, non plus à partir du petit point costarmoricain, mais de la multitude des destinations d’un pérégrin curieux de l’autre et de sa façon d’habiter son petit bout de territoire.

L’exergue est emprunté au poète Claude Vigée : « L’homme naît grâce au cri. »

Voyager vraiment est donc aller de cri en cri, à la recherche des pleinement vivants, criants, parlants.

« Même s’il existe des souffrances indépassables, j’ai connu, écrit Yvon Le Men dans le prologue de son dernier opus, suffisamment de souffrances, comme beaucoup, pour rencontrer celles de l’autre. J’ai connu suffisamment de joie pour désirer la rencontre aux quatre points cardinaux de la planète. C’est ainsi que j’ai découvert ces villes, ces fleuves, ces montagnes, ces mers, ces forêts, des déserts d’où je parle, ainsi que les hommes et les femmes qui les habitent et les fécondent. Ils ont laissé trace de leurs pas dans mes poèmes. »

La langue d’Yvon Le Men, nourrie de la voix des poètes qu’il aime, populaires ou plus difficiles d’accès (Louis Aragon, Jacques Prévert, Raymonde Queneau, Georges Perros, Paul Celan, Ezra Pound…), ne recherche pas la sapience dans l’amphigouri, mais dans une forme de clarté transmissible à tous.

Telle est sa nature, telle est son ambition : dire le complexe, entre simplicité et grande culture.

Passe Goethe dans la forêt de Buchenwald : « je ne sais pas / si le poète pressentit / qu’un jour / sa forêt serait abattue / pour abattre les hommes / dont rêvèrent ses poèmes // je sais / que les gardiens de la mort / gardèrent en vie / un arbre / un seul // le chêne où il s’adossait »

Goethe, l’auteur du Roi des Aulnes, que tous les enfants d’Allemagne connaissent par le cœur : « je sais / que dans son poème / un enfant meurt dans les bras de son père //  je sais que dans son pays / des milliers d’enfants sont morts / sans les bras de leurs pères »

La vie passe, qu’il faut célébrer jusque dans la mort, en aidant par exemple un ami dont la conjointe vient de décéder : « Il faut du silence / aux mots / pour ne pas rayer le chagrin // il faut du silence / autour des morts / pour entendre leur vie // le pas d’une robe / même léger / ne passe pas la frontière »

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Plus loin (poème Où es-tu Cécile ?) : « combien de morts par personne / pour une seule vie »

Les ors du palais du Vatican cachent-ils Dieu ou reflètent-ils son incommensurable pouvoir ? Où réside la véritable richesse ? Dans le plus petit restaurant de Lisbonne (titre d’un poème) ? Dans le train qui va de Cluj-Napoca à Timisoara ?

En 2005, Yvon Le Men se rend à Sarajevo pour rendre hommage à son ami le poète Izet Sarajlic. En 2000, il découvrait le pont détruit de Mostar, « écroulement de l’humanité sur elle-même ».

La loi de l’Histoire n’est-elle pas de s’en prendre à la géographie (poème Autour du mont Liban) ?

En Chine, le poète écrit : « là-bas / chez moi / je n’ose pas chanter // sauf à la maison / certains jours de ménage // ici / je n’ai que le chant / pour partager la langue »

Il chante en Algérie, au Mali, au Congo, au Brésil, en Haïti.

Il essaie de chanter dans le désenchantement et les difficultés.

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La poésie d’Yvon Le Men est structurée par des tensions, le passé/le présent, elle/lui, ici/là-bas, le mouvement/la stase, la mort/la vie, la parole/le silence, l’Histoire (grande hache)/l’histoire (petite, modeste, universelle).

Un cri fendu en mille est un recueil pour tous, pour soi, pour les égarés que nous sommes.

En voyageant, il est possible d’expérimenter l’unité du monde, et ses déchirures, que l’écriture tente de dire pour les ratatiner sous la table de travail.

Il faut pour cela du métier, de la concentration, et beaucoup de nerfs.

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Yvon Le Men, Un cri fendu en mille. Les continents sont de radeaux perdus, 3, éditions Bruno Doucey, 2018, 160 pages

Editions Bruno Doucey

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