
Il est temps de passer à une critique d’art qui ne soit plus ironique ou essentiellement autoréférencée.
Le jargon et les postures de savoir ont jeté le soupçon sur la beauté du geste de réception.
L’émotion n’est pas tout, mais elle est un préalable.

L’estomac contre les salons ? Bien sûr.
Les tripes contre les petits marquis ? Aïe.
Le tremblement contre les coteries ? Evidemment.
La maître ignorant contre l’éternel donneur de leçons ? Enfin.
La folie de peinture de Marlène Mocquet contre les petits gestes des fats ? Eh, eh.

Ouvrage édité à l’occasion du Prix AICA France de la Critique d’Art 2018, Marlène Mocquet et la critique d’art, de Numa Hambursin, est un éloge de l’inconnaissable, du mystère de l’acte créateur, de la sensation poétique (sens fort) comme principe même de l’art.
Qu’est-ce qu’une œuvre de Marlène Mocquet ? Comment l’approcher, la décrire, la déplier un peu si l’on est critique ? Comment dialoguer avec elle en mots ? Quel corps de texte offrir à cette peinture relevant du conte, de la monstruosité, de la tendresse envers la dinguerie du vivant ?
On est effrayé, amusé, affolé, dérouté, embarqué sur la nef de ses fous.
On pense à Henri Michaux, à Claude Ponti, à Jean Dubuffet.

Numa Hambursin pense à Lovecraft : « Il y avait, dans cet appareil pourrissant et décomposé, une sorte de qualité innommable qui me glaça encore plus. »
Donc, l’innommable comme objet de pensée, que l’on soit critique ou inventeur.
Donc, Samuel Beckett, mais aussi Bernard Noël, Claude-Louis Combet, Roland Sénéca.
Ne rien clore, mais ouvrir des pistes, proposer des hypothèses, mettre le lecteur au travail, en état de sensibilité maximale par la grâce des mots et phrases choisis.

Comment répondre à la bombe aérosol rageuse et jouissive ?
Comment décrire ces animalcules envahissant l’espace ?
On leur offre des fraises, des cerises, de la chantilly, des œufs au plat, ils se roulent dedans.

Numa Hambursin s’interroge : « Quel est le rôle du critique d’art ? Lui est-il permis d’oublier parfois les sciences humaines et les théories de la déconstruction ? Peut il être ébloui par la pomme transmise, avant de la transmettre à son tour, s’enivrer du château de cartes qui enflamme l’imagination des enfants et fertilise notre fantaisie oubliée ? »
Que le critique n’oublie pas d’être fécondé, emporté, transformé.
« Je rêve d’une critique de l’art contemporain qui exposerait ses doutes, sa fragilité, ses faiblesses, son ignorance. »

Ici, nous sommes avec Corine Pelluchon, Vinciane Despret, Marielle Macé, Mathilde Girard, Judith Butler (que des femmes ?) : comment tenir la ligne d’une critique bonne dans une critique mauvaise, ou de peu de goût ?
Comment ne pas cesser de s’émerveiller lorsqu’on se professionnalise ?
Comment ne pas perdre son humilité ?
La littérature (éveil de la parole à la parole) comme réponse ne peut-elle être la mesure essentielle d’une œuvre plastique, picturale, photographique de grande ampleur ?
Numa Hambursin écrit dans l’enthousiasme, Dieu la porte dans son œuvre critique de miséricorde.
Il faut la lire, puis l’oublier pour ne pas la perdre, et revenir à ce qui importe vraiment, l’art inouï, par exemple celui de Marlène Mocquet en son fantastique tératologique, et post-inuit.
Numa Hambursin, Marlène Mocquet et la critique d’art, éditions Sometimes, 2019 – 500 exemplaires
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