© Magnus Cederlund
Il faut souvent plusieurs années avant de trouver un café à notre mesure, à la fois refuge et lieu de rencontre, terre d’exil et d’envol.
Lorsqu’on croit l’avoir trouvé, il faut le tenir, lui être fidèle, y déposer temps, pensées, argent, et s’autoriser le soir venu à y être déraisonnable.
© Magnus Cederlund
Magnus Cederlund a trouvé le sien, dont le nom français évoque de troublantes délices, Cafe Intime, bar gay historique de Copenhague qu’il n’a cessé de fréquenter de 2012 à 2020.
Après le fameux rade hambourgeois Cafe Lehmitz, photographié par le Suédois Anders Petersen de 1967 à 1970, le livre de bar, généralement de nuit, où s’exprime en toute liberté une vie carnavalesque, indocile, pulsionnelle, est presque un genre en soi.
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Avec Intime, le photographe danois a su saisir l’atmosphère très belle et très folle d’un tel lieu, dans la rencontre du travestissement, des paillettes et des verres d’alcool.
On s’y sent bien, on le rattache imaginairement à d’autres cafés de ce type en Europe (des boiseries anciennes, des lumières tamisées, des fleurs coupées sur le zinc, des miroirs), et l’on rêve d’un Grand Tour, comme les jeunes gens cultivés des XVIIIe et XIXe siècle lancés dans un voyage initiatique de plusieurs mois, voire plusieurs années.
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On ne dessaoulerait que pour recommencer, on s’endormirait dans un recoin sur les genoux d’une belle, ou d’un beau, on aurait les yeux rouges comme des diablotins.
Le confinement et les mesures policières de dispersion sociale ont rendu ce programme un peu plus utopique encore, tant mieux, il n’en sera que plus excitant le moment venu.
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Les obligations, les responsabilités, les devoirs ? Des mots qui mènent à l’abattoir, ou au burn-out.
L’ambiance est fellinienne, les hommes sont poilus comme des élans de la taïga, les femmes sont douces et joyeuses.
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Sous les bougies de la fête, les visages deviennent des trognes ou des figures de saints, ils sont breughéliens dans la déglingue, et gentiment défoncés comme dans un film de Kenneth Anger.
On peut fumer, on peut se déshabiller un peu, un peu plus encore, embrasser la main ou la bouche de son prochain sans que cela ne choque personne.
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Il ne reste que quelques heures à vivre, l’aube est magnifique, mais le jour souvent si laid, mesuré, calculé, rentabilisé.
Une petite Mia Farrow trinque avec un drag-queen, des jumeaux cosmiques se transformeront peut-être tout à l’heure en centaures.

Monsieur a les seins qui poussent, Madame lit Kierkegaard, Mademoiselle apprend la loi des genres.
Magnus Cederlund excelle dans l’art du portrait : voici un Titien, un Rembrandt, un Caravage.
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Voici un Cerderlund : lunettes teintées, rouge à lèvres, toque en fourrure.
Les gentlemen sont les bienvenus, quel que soit leur âge.
Un hipster, une moustache qui frise, un caniche buvant une Carlsberg.
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Des dos nus, des ongles verts, des gants en dentelle noire.
Les toilettes sont un monde en soi, taguées, postérisées, stickerisées.
La fatigue gagne, les corps s’effondrent, la mélancolie succède à l’euphorie.
Fin de partie ? Oui, jusqu’à demain.
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Magnus Cederlund, Intime, texte de Christian Caujolle (danois / anglais /suédois), Journal (Stockholm, Sweden), 2020 – 700 exemplaires
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Magnus Cederlund, Skin Close, postface Keith Thomas Lohse, éditions Journal, 2018
Autant que ce livre, j’aime, comme toujours, votre regard et vos écrits 🙂
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