Rassemblement de soldats républicains écoutant un discours, front de Cordoue, Espagne, août-septembre 1936, Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos
On a beaucoup glosé sur le corpus d’images La mort en marche, de Robert Capa, notamment la célèbre photographie du Républicain espagnol assassiné sur le front de Cordoue début septembre 1936 , mais l’a-t-on seulement vu et regardé en intégralité ?
Né à Budapest en 1913, fuyant son pays à seize ans pour Berlin, réfugié à Paris en 1933 face à la montée du nazisme, effectuant son premier reportage de guerre en Espagne, avant de photographier la résistance chinoise à l’invasion japonaise, la Seconde Guerre mondiale, la première guerre israélo-arabe et la guerre d’Indochine – où il meurt en 1954 -, Robert Capa, fondateur en 1947 de l’agence Magnum avec Henri Cartier-Bresson, David « Chim » Seymour et George Rodger, est l’un des géants de la photographie du XXe siècle.
Enfants fuyant un bombardement nationaliste en longeant une voie ferrée, Cerro Muriano, front de Cordoue, Espagne, septembre 1936, Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos
En Espagne, Capa est accompagné de la photojournaliste allemande Gerda Taro, qui contribua largement à forger la légende de son compagnon, certainement au détriment de la reconnaissance de sa propre œuvre – faisant de l’immigré d’origine hongroise Endre Erno Friedmann un photographe au nom américain -, première femme reporter de guerre à mourir des risques inhérents à son métier, à vingt-six ans, en 1937, écrasée par un char républicain.
La valise retrouvée en 2007 à Mexico, contenant 4500 négatifs de Gerda Taro, Robert Capa et David Seymour réalisés au cours de la guerre d’Espagne, a permis depuis de réévaluer l’importance du travail de la photographe, certaines images attribuées à Robert Capa étant en fait probablement les siennes.
Suivant les Brigades Internationales ayant rejoint les troupes antifranquistes, Capa (Taro, et « Chim », leur collègue polonais) témoigne du courage et du sacrifice d’un peuple se soulevant contre la soldatesque nationaliste s’opposant à un gouvernement élu démocratiquement.
Femmes remplissant des cartou-chières pour des soldats républicains dans une usine de
munitions, Madrid, novembre-décembre 1936, Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos
La Mort en marche, livre élaboré en 1937, mis en page par le grand André Kertész, retrace ainsi la première année de la guerre civile espagnole.
Paru à New York en février 1938, cet ouvrage phare de l’engagement des photographes en faveur de la liberté reparaît aujourd’hui en version remasterisée et dans son exacte mise en page chez Delpire Editeur, à partir de nouveaux scans de tirages et négatifs originaux, comprenant en outre un inventaire exhaustif des photos qui identifie la contribution, jamais prise en compte auparavant, de « Chim ».
Dans sa remarquable introduction, le journaliste américain Jay Allen écrit : « L’Espagne est désormais une énorme tache de sang que les singes de la sagesse ne parviendront jamais à absorber, malgré tout le sable du monde. Et, au pied des Pyrénées, la mort n’est plus enchâssée dans une tapisserie de l’homme, de l’animal et de la cape sur un métier à tisser de l’ombre avalant lentement le soleil. »

Le peuple lève le poing, il est jeune, vieux, souriant, déterminé, croyant en la victoire, effective d’abord à Barcelone et Madrid, les deux plus grandes villes d’Espagne.
Le front se déplace vers l’Aragon, les trains sont bondés d’antifascistes en lutte, mais « ils ne pouvaient pas savoir, écrit Capa, que de grandes puissances s’étaient rangées derrière une insurrection militaire. »
Des paysans, des hommes de la rue, des étudiants, des veilleurs, des guetteurs, des défenseurs.
Soldat républicain blessé, transporté sur un brancard, col de Navacerrada,
front de Ségovie, Espagne, mai-juin 1937 Gerda Taro © International Center of Photography
Où commence vraiment le front ? Où est l’ennemi ?
Il faut improviser, avant de créer une véritable armée.
D’Andalousie, du pays Basque, de Catalogne, de Galice, un pays se dresse, s’unifie.
Capa : « Nous sommes arrivés à Madrid, la capitale de la république sinistrée, le 12 novembre. A Madrid, les tramways vous emmènent au front. Nous en avons pris un et payé notre billet. Le terminus se trouve dans une rue proche du campus de Moncloa. Entre les superbes bâtiments de la plus récente et plus belle université d’Europe, le sol est jonché de cadavres. Il y en a partout. On ne les emporte que de nuit, ou quand les combats font moins rage. »
Femme examinant un tableau que deux soldats républicains transportent au couvent
de Las Descalzas Reales, Madrid, octobre-novembre 1936 © Estate of Chim (David Seymour)/Magnum Photos
Armes contre armes, fusils, mitraillettes, canons.
Des sacs de sable, des meurtrières, des barricades, des matelas utilisés comme boucliers.
Des blessés, la pagaille, l’organisation spontanée des combattants.
Tranchées, ennui, jeux d’échecs.
Capa nous donne à voir la guerre en direct, quasi chronologiquement, dramatiquement.
Des impacts d’obus, des files d’attente, la faim dans les rues de la capitale, des réfugiés dans le métro, sur la route de Malaga.
Troupes républicaines saluant d’un train en route pour le front d’Aragon, Barcelone, août 1936 ; sur le train, une inscription : « UHP [Unión de Hermanos Proletarios ; Union des frères prolétariens], « Frères, jurez sur cette union avant de mourir, plutôt que de vous rendre aux tyrans. » Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos
« A Almeria, petite ville blanchie à la chaux, ils se réfugient où ils peuvent. Ils soignent leurs blessures jusqu’au matin où, quelques semaines plus tard, un croiseur allemand, l’Admiral Scheer, dévaste la ville avec ses obus. »
Au Nord, à Bilbao, les putschistes alliés aux combattants italiens attaquent les Basques opposant, aidé par les mineurs des Asturies, une résistance héroïque.
On appellera cela avec Goya les désastres de la guerre.
L’avenir est incertain, même si, Capa le montre, les usines tournent encore, mais attention les ouvriers ne sont plus prêts à se laisser exploiter.
No pasarán ?
Il faut aussi sauver les œuvres d’art.
A la façon d’une série de reportages au long cours publiés dans la presse à grand tirage de l’époque – l’hebdomadaire Vu par exemple -, La mort en marche est un hymne à la résistance et au courage d’un peuple dressé contre le fascisme, mais aussi une « tentative, écrit Cylthia Young dans la postface de l’édition Delpire faisant désormais référence, pour relancer l’aide américaine à la république d’Espagne. »
Un pays alors largement abandonné par les chancelleries occidentales.
Robert Capa, La mort en marche, photos de Robert Capa, de Gerda Taro et de Chim, légendes de Robert Capa, traduites par Jay Allen, préface de Jay Allen, mise en page André Kertész, traduit en français par Sylvie Schneiter, Delpire Editeur, 2020