©Patrick Taberna
Quel bonheur que de découvrir l’œuvre photographique de Patrick Taberna, exposée actuellement à Cergy-Pontoise dans le cadre du Festival du Regard.
Bernard Plossu écrivait de lui, en postface de son ouvrage Au fil des jours, publié par Actes Sud en 2004 : « Ce que je ressens, en voyant ces images de Patrick Taberna, c’est qu’il en a besoin pour vivre… (…) souvent une image seule suffit, l’air de rien, comme ça, parce que le vide entre deux immeubles de face est tout ce qu’il reste d’espace et de son, parce que derrière trois arbres il y a des jours et des jours de labeur dans un champ, parce qu’il pleut sur un pont en couleurs noir et blanc, et qu’avant de mourir, il faut prendre le temps de voir, de faire des photographies. Point. »
©Patrick Taberna
Patrick Taberna invente une photographie de poésie, de quotidienneté, d’humilité et de beauté, célébrant, dans sa ville natale de Saint-Jean-de-Luz ou lors de voyages, notamment en Italie, sa famille, sa compagne Sylvie, son fils Clément – dont la naissance inaugure un passage à la couleur -, sa fille Héloïse.
De la lignée de Nicolas Bouvier et de Robert Frank, l’artiste du Club des 30/40 (Paris) a construit une arche flottante pour l’éphémère, la force de l’instant, la chance des épiphanies, donnant ainsi une forme à l’amour.
Amour pour un chemin de cailloux bordé de vert un jour de gros temps, pour une pomme de pin dans la main d’un enfant, pour une petite table en bois posée contre un mur chaulé dans une pièce vide.
©Patrick Taberna
Par son regard, chaque chose semble retrouver une présence, une aura, non pas flamboyante mais chaude et bénéfique.
Il y a pourtant des énigmes en son chemin de vision, mais sans qu’il y ait besoin de les élucider et de forcer le sens.
Il faut simplement laisser les corps et les objets imprimer la pellicule, observer la façon dont la géométrie structure nos cadres de vie, s’amuser de la discussion secrète entre trois peupliers beckettiens dans un champ bien soigné.
©Patrick Taberna
Un petit garçon s’avance dans la pénombre, il y a des ciseaux posés près de lui, une fiction peut naître, aussi complétée, démentie, déplacée, par les images qui suivent, de l’ordre d’un rêve éveillé.
On dort, on appareille, la destination est inconnue.
On monte des escaliers, on se promène sur des coursives ou des quais, on étend les bras dans l’air marin.
©Patrick Taberna
L’enfance est une aventure, comme d’être père, et de métamorphoser l’ordre des jours en narrations syncopées, en souffles d’images, en esprits d’atmosphère.
Une tension naît entre l’appel du départ et l’apaisement de la route.
On regarde le globe terrestre, on le fait tourner, on est d’ici et d’ailleurs, la vraie patrie étant peut-être moins un espace géographique que la surface souple du visage des êtres en connivence dans une famille en mouvement.
©Patrick Taberna
On joue, on ne joue plus, on est joué, on s’égare, on se retrouve.
Est-ce une fugue ? Oui, si l’on pense davantage musique que désarroi existentiel.
Dans Le goût des mandarines (Le caillou bleu, 2012), le conte se poursuit, dont les protagonistes sont les enfants, mais aussi un lapin et un cheval blancs, un whippet psychopompe, et des rhinocéros aux cornes fabuleuses.
©Patrick Taberna
Il faut passer un cerceau de feu, sauter au-dessus d’herbes coupantes comme des planches de fakir, croire en sa bonne étoile, traverser le porche des draps pendant dans le jardin, et entrer dans un temps où le temps n’existe pas, ou autrement.
Tiens, voici une ville méditerranéenne, rose, bleue, jaune et verte, un horizon, des fortifications.
Dans la pinède se trouve un fauteuil : c’est un trône.
©Patrick Taberna
Miroir, mon beau miroir, dis-moi où se trouve la réalité ?
La petite fille jongle avec des mandarines et regarde son père, ce drôle d’animal respirant avec son appareil de lumière.
Autrefois, avant la naissance de ses enfants, Patrick Taberna photographiait en noir et blanc, par exemple le Portugal visité en 1995 (livre du Portugal, frôlement, publié au Japon en 2015), seul, solitaire, isolé.
©Patrick Taberna
Il pleut, des personnages errent ou vaquent à leurs occupations ordinaires, Dieu est un peu triste.
Il y a du vide, de la dureté sociale, et des chambres d’hôtel froides.
Saudade, chanterait encore Amalia Rodriguez.
©Patrick Taberna
Depuis, un père est né, qui a trouvé une très belle façon de faire famille, entre pudeur, douceur et inquiétante étrangeté transformée en mystères de fictions colorées.
Patrick Taberna, Au fil des jours, préface (français/anglais) Sylvie Sallaberrenborde, postface (français/anglais) Bernard Plossu, Actes Sud, 2004, 96 pages
Patrick Taberna, Le goût des mandarines, texte Takeki Sugiyama Le caillou bleu, 2012
Patrick Taberna, du Portugal, frôlement, design & editing Takeki Sugiyama, publisher Mariko Yamada, UTAKATADO Publishing, 2015 – 500 exemplaires
Exposition Patrick Taberna au Festival du Regard, du 1er octobre au 21 novembre 2021