Eclats de Gaza, de l’écriture, des messagères, par Dominique Fourcade, poète

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Iris messagère des dieux, 1891, Auguste Rodin

« je t’en supplie, Palestine, j’arrive sans frein dans ce malheur, garde-moi une cuillerée de confiture d’orange amère, s’il te plaît laisse-moi m’enivrer de l’odeur de laurier-cerise grâce à laquelle j’identifie ton linge où que je me trouve, et, surtout, laisse-moi boire tes règles sous la lune. »

Placé sous le signe de la franchise et de l’intrépidité de la sculpture, Iris messagère des dieux, d’Auguste Rodin, voilà c’est tout, de Dominique Fourcade, est un livre écartelé.

Entre la prose et la poésie – son débordement/exténuation jusqu’à la possibilité que s’énoncent des vers ultimes -, entre la puissance de dire de l’écrivain et l’impuissance de l’écrivant, entre l’enfance et le bel/insupportable aujourd’hui, entre Israël (pôle masculin) et la Palestine (polarité féminine), entre elle.s (qui le renouvelle.nt) et lui (qui écrit), entre l’angoisse et la douceur réconciliante de l’olivier, entre la vie à faire encore et la vie se défaisant, entre les ruines s’amoncelant et le chant du troglodyte.

Engagé/observateur volontaire pour quelques mois durant la guerre d’Algérie (voir ce qui ne peut se voir), Dominique Fourcade ne put alors s’exprimer, les moyens pour le faire n’étant pas encore disponibles.

Nous ne sommes pas libres – conviction du poète, qui mit une grande partie de sa vie au service du mage Matisse, pas le choix -, ni de nous taire, ni de tenter par les mots et les phrases justes de faire silence quand se fracassent les bombes sur les nouveaux-derniers-nés.

« tes seins me crient dans la bouche / que dire d’autre à la Palestine, aujourd’hui, d’ailleurs j’aurais dû le lui dire il y a cinquante ans, mais je n’avais pas la même conscience des choses, aujourd’hui ça s’impose à moi. quoi ça. ce septosyllabe, la réalité. »

Hanté par les souffrances du peuple palestinien, voilà c’est tout se fait quelquefois réquisitoire contre la logique de domination absolue de l’Etat israélien.   

Pourquoi Gershom Scholem, rappelle Dominique Fourcade, conseilla-t-il à son ami Walter Benjamin de ne pas rejoindre la Palestine juive ?   

Dominique Fourcade pense avec les écrivains qu’il fréquente passionnément (Jean Genet, Edward Saïd, Mahmoud Darwich, Walt Whitman, Emily Dickinson, Susan Howe, François Villon, Rainer Maria Rilke, Charlotte Delbo), les expositions qu’ils voient constamment, non comme des objets culturels mais comme des chances d’émerveillement très intime (Charles VII au musée de Cluny, Brancusi au Centre Pompidou, Revoir Van Eyck et Gilles de Watteau au Louvre), les films médités (Allemagne année zéro, La Règle du jeu, Mulholland Drive), la musique qui l’émeut profondément (notamment Beethoven et Bartok), cherchant à dire le nouveau d’instant en instant, ce qu’on peut appeler le réel.

Hauteur de l’impossible.

« il n’y a pas d’urgence que l’art commence, au point où j’en suis. l’urgence est que l’éros continue. mais pour que l’éros continue il faut qu’il y ait de l’art. »

Eros Iris.

Voyeurisme honteux, assumé, déclaré.

Comment savoir si nous vivons, ou avons vécu ?

« il n’est pas de journée vraiment vécue, avance le poète, sans qu’une héraldique la signe et la valide. »

Des fils entrelacés, des motifs, des cadences.

Un baiser, un livre, la rencontre d’une œuvre bien plus grande que soi.

Des soulèvements.

S’exposer comme Iris montre sa vulve ouverte.

Qu’une femme nous tienne la main, nous entraîne dans le noir le plus profond, nous tue pour nous sauver.

« je ne puis regarder longtemps un corps de femme, je ne peux en supporter l’éclat, les angles et les risques, les arcs électriques, les lieux gouffres, tout cela je puis l’écrire bien plus longtemps que je ne peux le regarder. vie que je connais à peine, vie dont les dieux grecs savent tout, tragédie dont seule comprend l’ampleur Iris les jambes écartées au-dessus des trente-neuf millions de tonnes de gravats à Gaza, vie que seule l’écriture inaugure. écriture drive informel dans la bon tempo d’amplitude / mortelle »

Rendez-vous dans une petite pièce du deuxième étage du musée Maillol, 61 rue de Grenelle, Paris.  

Le poète est là.

Iris contre les guerres (Algérie, Gaza, Ukraine), Iris qu’il faut voir à fond, « clitoris au zénith »,  Iris schibboleth.  

voilà c’est tout est un commencement.

Dominique Fourcade, voilà c’est tout, P.O.L, 2025, 142 pages

https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=78

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