L’appel à l’acte de l’écriture, par Patti Smith, voyageuse du multivers

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« Une joie particulière accompagne la météo, clémente, une légèreté appréciable à laquelle je succombe facilement. J’entre dans l’église de Saint-Germain où des garçons sont en train de chanter. Une communion peut-être. Il y a dans l’air un enchantement solennel et j’éprouve le désir familier de recevoir le corps du Christ, mais je ne me joins pas à eux. Au lieu de cela, j’allume un cierge pour ceux que j’aime et les parents des enfants qui ont péri au Bataclan. »

Dévotion, de Patti Smith, est un livre multiple, à la fois journal intime, recueil de photographies et nouvelle/conte au titre éponyme, texte central autour duquel pivote l’ensemble de l’ouvrage, puisqu’il s’agit de comprendre comment des matériaux glanés çà et là s’assemblent finalement pour créer un écrit de nature littéraire.

Tout commence par le combat de Jacob contre l’Ange, de l’esprit contre la muse, de l’intelligence contre l’inspiration ayant besoin de liberté pour s’épanouir.

Patti Smith voit d’abord un film de Martti Helde sur la déportation par Staline de milliers d’Estoniens dans des fermes collectives en Sibérie au printemps 1941.

Le lendemain matin, la voici dans son café new-yorkais habituel, un livre de Patrick Modiano (Nocturne) posé sur la table, essayant d’écrire avant que de partir le soir même à Paris pour rencontrer son éditeur et participer à des rencontres littéraires, emportant dans l’avion un autre livre de Modiano (Un pedigree) et une biographie de la philosophe Simone Weil par Plessix Gray.

Installée dans un hôtel près de l’église Saint-Germain-des-Prés, la star américaine se laisse absorber par le spectacle télévisé d’une compétition de patinage artistique.

Les éléments d’un texte se mettent en place dans l’inconscient de l’écrivain.

Rencontre d’Antoine Gallimard dans son bureau, fantôme d’Albert Camus, nouveau départ pour Sète où une présentation de livre est prévue.

« Sur le chemin de la gare, j’inspecte à nouveau le contenu de mon sac. Carnet, Simone, sous-vêtements, chaussettes, brosses à dents, une chemise pliée, appareil photo, mon stylo et mes lunettes noires. Tout ce dont j’ai besoin. »

Soudain, oppressante, impérieuse, arrive la muse : « Tandis que je me promène, un vertige inattendu mais familier m’assaille, une intensification de l’abstrait, une réfraction de l’air mental. »

Patti Smith se met à écrire, et n’arrêtera plus avant que d’être revenue à Paris.

Un texte est né, Simone, sur la tombe de qui l’écrivain se rend à Londres pour y déposer de la lavande de Sète (superbe page où Patti Smith se sent guidée vers elle par l’âme de son défunt frère), est devenue la jeune Eugenia, personnage de fiction, petite Estonienne de seize ans passionnée de patinage sur glace, écrivant l’histoire de sa vie et de sa famille assassinée dans son journal intime.

On songe ici à l’art du récit de Roger Salloch : sens du détail, sens de l’Histoire, sens des ellipses, sens de la solitude, passage d’un corps sensible dans un monde où règnent la cruauté et les non-dits.

Eugenia dansant sur la glace s’aperçoit qu’un homme l’épie, se laisse finalement séduire par lui, avant que de lui offrir très naturellement son corps. Un pacte faustien se met en place, l’adolescente acceptant les cadeaux et le sexe de son admirateur en échange d’une protection de sa carrière de patineuse.

Mais il y a un fusil, et le sang répandu sur la couche de la première nuit en appellera un autre lors d’une dernière rencontre.

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L’écrivain s’interroge : « Pourquoi est-on poussé à écrire ? Pour se mettre à part, à l’abri, se plonger dans la solitude, en dépit des demandes d’autrui. Virginia Woolf avait sa chambre. Proust, ses fenêtres aux volets tirés. Marguerite Duras, sa maison silencieuse. Dylan Thomas, sa modeste cabane. Tous cherchant un vide pour s’imprégner des mots. Les mots qui pénétreront un territoire vierge, inventeront des combinaisons inédites, exprimeront l’infini. Les mots qui ont formé Lolita, L’Amant, Notre-Dame-des-Fleurs. »

Les mots qui forment Dévotion.

Les mots qui racontent une visite à Catherine Camus à Lourmarin.

Les mots qui témoignent d’un appel à l’acte d’écrire.

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Patti Smith, Dévotion, Gallimard, 2018, 158 pages

Site Gallimard

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