
On pourrait tomber de cette forêt bordant la mer, se croire Icare et chuter.
Pourtant, nous nous tenons encore debout dans l’être, et nous abordons les précipices sans ciller.
Il y a ici beaucoup de démesure dans les paysages, du sublime, le commencement de la terreur, mais il y a aussi la raison, le sens des proportions, la maîtrise qu’apporte le métier n’ayant pas recouvert par le professionnalisme la sensibilité.

Le bord du jour, de Jacques Vilet, est un livre d’effroi et de grâce, de vertige et d’aplomb.
C’est un travail à l’ancienne – à l’argentique noir & blanc, chambre grand format et tirages maison -, superbe par son atemporalité.

Nous sommes près de la mer Baltique, dans l’île allemande de Rügen, mais aussi en Poméranie, en France ou en Ecosse.
Nous sommes dans une sensation d’être au monde, dans le silence d’une marche romantique, dans la mer alliée au soleil froid de la mélancolie.

Il y a des ruines, des arbres déchirés, et la nudité d’un espace qu’on pourrait croire préservé des avanies humaines.
Le moment est suspendu dans l’œil du photographe, non pas aux aguets, mais totalement présent à ce qui est, à ce qu’il voit.
Dialogue entre le fini et l’infini, entre la brindille et l’océan, entre le dos d’homme et la falaise.

Le cadre est implacable, structuré par le réseau des lignes qu’il convoite : on peut appeler cela une composition noble, ou l’instant décisif de la nature.
Les photographies de Jacques Vilet sentent la mer et les sous-bois, la solitude et le dépassement de soi, il faut les respirer amplement, avant que de les faire descendre dans toutes les fibres du corps.

Faut-il ici penser à Dieu ou, dans le spectacle des arbres et des roches, à quelque substance hypostatique au repos ?
Faut-il regarder ces images comme on entre en ascèse, dans l’abandon de soi ?
Le bord du jour propose en ses théâtres gris et noirs, à la limite quelquefois de l’abstraction et de la désolation, des embarquements imaginaires, des possibilités de transports.

Ses arbres isolés sont des orants plantés dans l’absurde de l’existence, des espoirs pour tous.
« La logique interne de la photographie présente le paysage sous une autre forme que la peinture, écrit Jacques Vilet, mais le peintre n’a pas tout imaginé comme on pourrait le penser. Cela atteste que l’imagination est aussi dans le regard et surtout dans le regard. Nous regardons parce que nous imaginons. Nous imaginons puis nous faisons des images. »

Lecteur, mon ami, mon frère, à ton tour d’entrer en résonance avec Le bord du jour.
Le monde brûle, tu brûles, c’est ce qu’il y a de mieux à faire.
Jacques Vilet, Le bord du jour, texte de Jacques Vilet et Jean-Marc Bodson, ARP2 Editions / Contretype, 2019, 96 pages – 400 exemplaires
