Parlement et politique de l’auteur, par Michel Surya, Pierre Rottenberg, Philippe Blanchon, Jacques Sicard, Alain Jugnon, René Noël

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Dans le volume collectif Politique de l’auteur, publié chez La Nerthe  – textes de Jacques Sicard, Philippe Blanchon, Michel Surya, Alain Jugnon, Pierre Rottenberg, René Noël -, on remarque d’abord les photogrammes, très beaux, des films Dimanche après-midi (1966-1967), de Jean-Claude Brisseau, Hotel by the River (2018), de Hong Sang-soo, Beyond The Forest (La Garce, 1949), de King Vidor, Uccellacci e ucellini (1966), de Pier Paolo Pasolini, Le Cheval de Turin (2011), de Béla Tarr, Une Femme sous influence (1974), de John Cassavetes et Au hasard Balthazar (1966), de Robert Bresson, ainsi qu’un portrait du cinéaste Yasujirô Ozu.

Tous indiquent un état du cinéma, une foi en l’incarnation, essentiellement sur pellicule, une nécessité de représenter et de partager.

Entre 1966 et 1968, Jean-Claude Brisseau a tourné Dimanche après-midi (court métrage), L’Après-midi d’un jeune homme qui s’ennuie (moyen métrage), et Mort dans l’après-midi (moyen métrage) : que se passe-t-il donc l’après-midi ? Faudrait-il le visage et le corps d’une femme pour éviter l’ennui, l’indifférence, l’acédie ?

Jacques Sicard décrit ainsi la poétique du cinéaste à la peau vérolée, amateur des extases féminines : « Une approche de bestiau qui se guide à l’odeur, la chaleur, la sueur, la palpitation depuis qu’il ne voit plus rien. »

Il faut peut-être, sûrement, réaliser des films de poésie lorsqu’on ne voit plus rien.

Pour revoir la neige sexangulaire, on peut relire comme Philippe Blanchon L’étrenne, de Johann Kepler (1611), ou se rendre en Corée chez Hong Sang-soo, avant que le feu de la bouche de la garce Bette Davis ne fasse fondre nos illusions sentimentales.

Mais que dira le moineau Ninetto Davoli ?

« Bah ! »

« Bah ! »

« Bah ! »

Rien à voir entre cette chaleur de l’interjection mi-amusée, mi-stupéfaite, et la froideur des figures et récits de Béla Tarr (nihiliste ?)  désignant selon Michel Surya l’enfer – aucune expiation possible : « Béla Tarr dit avoir fait avec Le Cheval de Turin son dernier film. Annonçant ainsi la fin de son cinéma. Mais on peut l’en soupçonner : c’est à la fin du cinéma lui-même qu’il pense, à laquelle il chercherait qu’on associe son nom. »

Le Hongrois godardiserait-il mal, ou trop littéralement ?

Alain Jugnon définit ainsi la politique de l’auteur, offrant au lecteur quelques mails échangés avec son ami Bernard Stiegler : « Il existe une écriture qui ne tient matériellement et physiquement qu’à la présence forte et merveilleuse de l’auteur et de sa politique (une vie et une immanence par là), c’est le cinéma allemand de Murnau et Fassbinder, c’est la poésie de Rimbaud et Ducasse à Alain Jouffroy, c’est le roman du monde de Malcom Lowry à Michel Surya et c’est la philosophie de Bernard Stiegler. »

Qu’appelle-t-on panser ? Qu’appelle-t-on le corps d’une œuvre ? Comment nouer sans indigestion noétique et poétique ?

« La phrase qui rend vivant pour ne pas devenir fou de Bernard Stiegler est, poursuit l’auteur de L’ivre Nietzsche (La Nerthe, 2019), une phrase vivante et folle comme celle de Jean-Jacques Rousseau et comme de Stéphane Mallarmé : uniquement ces deux écrivains-là. Un pour la Philosophie de la Vie, un pour l’Ecriture du Poëme. Il n’est de politique de l’auteur que pour autant qu’il fut une philosophie de créateur. Dont acte et amour. »

Auteur, John Cassavetes l’est au suprême, dont Pierre Rottenberg analyse le motif scintillant de la torsion homme/femme, du S, du serpent, dans Une Femme sous influence (texte repris des Cahiers du Cinéma, n°273, 1977)

Penser aussi au jeune Ozu, indiscipliné, obstiné, moral au fond, avec René Noël, principe d’individuation et liberté malgré tout, notamment malgré les contraintes économiques des studios : « Si Ozu a une nostalgie certaine, écrit-il superbement, non pas de celle née des us et coutumes des modes, des civilisations, des âges, des ères des évolutions perdus, puisque les points, les lignes aux géométries imprévisibles ne s’arrêtent pas (ne sont-elles pas parties prenantes de nous-mêmes semble-t-il dire, plus encore qu’elles nous affectent, parlant elles-mêmes depuis nous, ce que nous sommes ?), puisque l’étendue et ses transformations priment sur le temps, c’est de la vie, vivant ce paradoxe du temps, fiction, rythme des hommes faits de naissances et de morts, contrarié qu’elle ne dure pas plus longtemps ainsi qu’il le dit à ses visiteurs sur son lit d’hôpital, soulignant qu’il a encore beaucoup de projets de films. »

En belle couverture jaune, Michel Surya revient – après le volume de correspondance avec Bernard Noël, Sur le peu de révolution (La Nerthe, 2020), même couleur -, dans un texte enthousiaste, d’amour même, et dé/lyrant, d’Alain Jugnon, Danser l’anatomie humaine.

J’y lis des propositions, des entrées, des transmissions.

Je me fraie un passage dans une constellation de noms, Beckett, Bataille, Artaud, Melville, Nietzsche, Nerval, Kafka, Joë Bousquet, Ludovic Janvier, Gilles Deleuze, Marguerite Duras, Jean-Noël Vuarnet, Alain Jouffroy, Jacques Derrida, Bernard Stiegler, Sade, Malcom Lowry.

Je garde ce qui m’intéresse.

– « La phrase de Michel Surya tient la mort dans ses mots pour que l’humanité sans dieu reste en vie éternellement, sauvée. »

– « Pour Michel Surya, les personnages du roman vivent dans une chambre, les yeux collés à la fenêtre, à la fin de la partie. »

– « Pour Michel Surya, l’écriture d’une littérature mineure est l’affaire du peuple des souris contre la domination en langue majeure des fascistes et des capitalistes. »

– « Cet écrivain « forcé à briser » [Mathilde Girard] aura fondé et dirigé une revue – la revue Lignes – qui restera, de la fin des années quatre-vingt à nos jours, la revue qui, avec ses cent vingt numéros (chez quatre éditeurs successifs), qui aura rendu possible et pensable cette république des lettres [le dernier numéro est un hommage à Pierre Guyotat] qui ne déteste rien autant que la communauté et complicité parmi les poètes, les écrivains, les penseurs et les artistes. »

– « Vos livres, Michel Surya, qu’ils soient des récits ou un roman, des essais ou un manifeste poétique, sont des bombes à impuretés littéraires dignes absolument des grandes attaques en règle de Ducasse ou Rimbaud (Breton ou Bataille) : votre poème-discours tombe là, mais cela crée pour les hauteurs. Vos livres sont autant de scènes de vie d’un théâtre de l’écriture matérielle : vers la révolution des esprits enfermés dans les corps. »

– « L’intimement communiste que promet votre surréalisme »

– « l’histoire vécue du roman de la pensée qu’est votre écriture »

– « La donnée immédiate, pour la conscience de l’écrivain et la main du penseur, qui signale qu’il y a polième et non simplement philosophème réside dans l’énonciation de cette phrase (lue ci-dessus chez Michel Surya) : je cherche à penser que penser peut décider de tout. »

– « La fonction fabulatrice fait œuvre contre la mort, contre l’entropie. »

– Et ceci, qui est très beau, et donne envie de tout reprendre de l’auteur de Le mort-né : « Le style Surya s’appuie sur une phrase longue et belle (complexe et structurée), car elle va au bout de la création d’une différance et d’un glissement : ce n’est pas le sens qui glisse et diffère, supplémentant de la vie sur la mort, mais le corps de l’écrivain, pas sa main mais son âme, son mouvement singulier. C’est en effet du style au long de la phrase qui établit qu’il y a littérature et que cette prose est un poème : d’un éternel retour contenu et activé. »  

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Politique de l’auteur, textes de Jacques Sicard, Philippe Blanchon, Michel Surya, Alain Jugnon, René Noël, La Nerthe, 2021, 64 pages

Au-sujet-de-Surya

Alain Jugnon, Au Sujet de Surya, danser l’anatomie humaine, La Nerthe, 2021, 108 pages

Sur-le-peu-de-revolution

Editions La Nerthe – site

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Se procurer Politique de l’auteur

Se procurer Au sujet de Surya

Se procurer Sur le peu de révolution

Se procurer Tombeau pour Pierre Guyotat

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