Bartlebying, par Serge Airoldi, écrivain

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©Serge Airoldi

« Fuir, mais en fuyant, chercher une arme. » (Gilles Deleuze, Dialogues)

Insula Bartleby, de Serge Airoldi, est une lecture savoureuse, magnifiquement informée, du texte de Melville publié une première fois en 1853, et de ses exégèses. 

C’est une œuvre très libre, interrogative, suspensive, déclarative, guidée quelquefois par la logique des paronomases à la façon d’une poésie baroque, et l’héraldique des couleurs.

Frank Smith nomme bartlebying le processus de l’interprétation infinie concernant l’énigmatique formule du scribe new-yorkais affirmant poliment I would prefer not to.

S’il vous plaît, laissez-moi là où j’en suis, rien ne presse, il se peut simplement que la fermeté de ma volonté négative fasse dérailler le monde.

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©Serge Airoldi

L’Apocalypse, la fin du registre calculant, à partir d’une étude d’avoués de Wall Street employant un moine zen un peu bizarre, pourquoi pas ?

Pierre Leyris fut le plus célèbre passeur en 1951 de la nouvelle de Melville, puis Giono, puis tous les autres, y compris Gilles Deleuze, philisophe aux yeux jaunes (lire Claude Jaeglé).

Bartleby est une île, une forteresse, un roc.

Le réfractaire fait défiler la bibliothèque : Walter Benjamin, José Bergamin, Clarisse Lispector, Marot, Novalis, Georges Perec, René Crevel, Louis Aragon… Serge Airoldi pensant par rebonds, échos, répons.

Axiome : « Les citations sont utiles dans les périodes d’ignorance ou de croyances obscurantistes. » (Guy Debord, Panégyrique 1)

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©Serge Airoldi

S’interrogeant d’abord sur le sens même du mot traduire, l’auteur de Rose Hanoï (Arléa, 2017) entre dans les poches du gilet à gousset de l’impeccable By, ou bibi, ou BarthesBy, ou Bartleby, pour en découvrir des trésors critiques.

Nous sommes, rappelle-t-il, à l’époque que filme Martin Scorsese dans Gangs of New York (2002), une époque sauvage, bientôt mise en (dés)ordre par le capitalisme triomphant, auquel l’ « activiste inactif » oppose un jour, comme ça, parce que c’est trop, sa non-participation radicale.

Kafka note dans son Journal, le 15 août 1913 : « Je m’isolerai de tous jusqu’à en perdre conscience. Je me ferai des ennemis de tout le monde, je ne parlerai à personne. »

On peut se souvenir ici aussi du beau livre de révélations du Corse Julien Battesti, L’imitation de Bartleby (Gallimard, L’Infini, 2019), et de l’histoire de la rencontre de Michelle Causse, traductrice, féministe radicale (Contre le sexage, Balland, 2000), femme de courage ayant décidé d’avoir recours au suicide assisté en Suisse.

Peut-on attendre autre chose de la littérature que la résurrection et la vie éternelle ?

Giacometti peint Bartelby, et Bacon, et Bram Van Velde.

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©Serge Airoldi

Serge Airoldi calligraphie à l’huile l’affirmation d’un geste.

« Bartleby se tue et ressasse peut-être cette étrange idée que murmure Josef K. quand deux messieurs très officiels lui plantent méticuleusement un poignard dans le cœur : « C’était comme si la honte devait lui survivre. » Cette honte, c’est « la honte d’être un homme », a commenté Primo Levi. Cette honte silencieuse, ontologique et inutile – ce pudendum – inutile comme tout le reste, est l’arme de Bartleby. Bartleby est un tué tueur. Un tué né. »

Lorsqu’il s’exprime devant Claire Parnet sur la lettre « R comme Résistance » (Abécédaire), Gilles Deleuze affirme qu’on résiste d’abord parce qu’on a honte, de l’homme, de soi.  

Serge Airoldi le cite encore, dans Critique et clinique : « Même catatonique ou anorexique, Bartleby n’est pas le malade, mais le médecin d’une Amérique malade, le Medecine-man, le nouveau Christ ou notre frère à tous. »

Comme Antonin Artaud ? 

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Serge Airoldi, Insula Bartleby, éditions Louise Bottu, 2021

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©Serge Airoldi

Editions Louise Bottu

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  1. Cédric dit :

    Si je peux me permettre, il me semble que l’auteur de L’imitation de Bartleby s’appelle Battesti.

    J’aime

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