
L’heure bleue est cet instant entre jour et nuit où naissent les peurs, les monstres, les formes indécises.
C’est l’heure du loup, un moment de trouble, d’effondrement, de métamorphose.
Ces longues minutes où tout vous menace, où vous vous rapprochez de votre conjoint, de vos amies, comme des bêtes affolées.

Un bébé crie, il a raison, rien ne sera jamais plus comme avant. Le voici abandonné pour toujours.
L’heure bleue, c’est aussi le titre d’un livre de la photographe Anne-Sophie Costenoble, un conte noir somptueux, qui arrive à vous un jour de grande peine, et presque par hasard.
Sur la couverture de jais flottent des méduses. Vous êtes prévenu, ici tout ne sera qu’abysses et voluptés étranges.

Et il faut bien la fermeté du carton que l’on ouvre comme on déplie un grimoire pour tenir un peu entre nos doigts gourds le monde flottant.
D’une puissance de délicatesse et de pudeur considérable, les images d’Anne-Sophie Costenoble sont des offrandes, des visions fugitives mais de nature archétypale, des émanations de rêves ou d’inconscient.
Cette forêt qui ouvre le bal de la nuit pourrait être une échographie, ou le mystère d’un sexe féminin.

Tiens, un enfant paraît, comme un fantôme michelangelesque.
Bruissement de feuilles, et c’est la lutte de Jacob et de l’Ange, d’un chien et d’un renard échappés d’une tapisserie.
Tournez la tête, le cochon pendu est une chauve-souris.

Au pays d’Anne-Sophie Costenoble, tout est noir, tout est nuit, tout est vie et frémissement. Polyptique d’un corps féminin nu étendu sur la feuillée, d’une forêt profonde et d’une chouette déployée.
Les couleurs, quand il y en a, ne sont pas tapageuses mais ont la douceur du souvenir, de l’interrègne.
Cygne, libellule, flamants roses, serpent, poissons, pélicans, les animaux sont partout, ainsi que des lucioles, des milliers d’autres mondes fous et merveilleux.

C’est l’heure où la photographe vacille, change de corps, s’envole ou plonge, donne la main à ses ancêtres.
Il faudra un jour tenter, je le ferai, la cartographie précise de tout un pan de la sensibilité féminine contemporaine en matière de photographie. On y retrouverait par exemple, en un ensemble d’îlots à la fois indépendants et liés, les noms d’Anne-Lise Broyer, d’Aurélia Frey, d’Anne Voeffray, de Marie-Maurel de Maillé, et d’Anne-Sophie Costenoble, toutes exploratrices de la nuit, de l’enfance, et des brisures de leur sexe.
J’aime que le vol d’Athéna prenne pour toutes la figure de l’ellipse, du silence, et d’un destin commun.
Anne-Sophie Costenoble, L’heure bleue, textes de Xavier Cannone, Jean-François Spricigo, David Courrier, éditions ARP2, 2017

Exposition L’Heure bleue, au musée de la photographie, Charleroi, Belgique – jusqu’au 4 décembre 2017
Site du Musée de la photographie de Charleroi
