
« Vous arpentez, pieds nus, les rues parisiennes, / Murmurant vos promesses à des messieurs passants… / Je vous vois et je m’approche à peine. »
Qui aura parcouru, lu, médité, l’ensemble des pages du beau et mystérieux Chambre 409, de la poétesse russe Sophie Bogarné, possédera la clé.
La clé permettant d’accéder au royaume des femmes, dans leur diversité, leur puissance, leur génie singulier.

La clé délivrant la faveur.
Ode à l’éternel féminin comme force spirituelle, Chambre 409 est une gemme ayant revêtu un habit de velours.
Se présentant sous la forme d’un missel – mais c’est un masque, une bauta vénitienne -, cet ouvrage libertin unit la délicatesse des vers à la sensualité des dessins de Sacha Reznik.

Il y a chez Sophie Bogarné beaucoup de noblesse, un maintien et des gestes très aristocratiques, un cou de cygne, des mains gantées, longues et fines, une blondeur séraphique.
Elle ? « une souplesse de panthère. »
Vivant entre Moscou, New York, Los Angeles et Paris, la poétesse est essentiellement française, continuant à sa façon le XVIIIe siècle à travers les siècles.
Baudelaire l’écrivit : « La révolution a été faite par des voluptueux. »
La poétesse : « Vous tenez un journal français de quelques pages, / Le trouble dans votre âme étouffe un doux chagrin, / De vos épaules glissent des bretelles de corsage. »
Ici, chaque femme est un prénom, une porte, une arche : Anastasia, Nature intime, Madame, Ne cachez pas Dieu, Refus, Liaison diabolique, Drame…

Dieu et Diable se mêlent, quand l’amour le plus pur devient une dépendance, une emprise, une déchirure.
Anastasia jette des camélias sous les pas de Milady aux cuisses nues.
A l’hôtel Plaza de New York, chambre 409, vit Juliana Bergé, 52 ans, qui reçoit chaque jour des belles différentes.

Pour la soigner de sa mélancolie ?
Elle leur offre du champagne.
Juliana Bergé ? Une héroïne à la Fitzgerald, personnage principal d’une nouvelle de la poétesse inaugurant son recueil, avant que les vers ne sculptent différemment les femmes et le désir.
Mais quel savoir étrange possède la riche dame de la chambre 409 ?
Qui murmure à sa future amante, lui apprenant la volupté : « N’oublie jamais le baiser… Grâce à lui, tu peux sauver un être humain. Mais ne te précipite pas trop. Tout le monde ne veut pas être sauvé. »
Magnifiquement traduit par Florian Voutev, Chambre 409 offre à chaque femme la liberté d’y déployer vices et vertus.
« Plusieurs natures intimes ont dans leurs corps / Les filles, or une seule est prodigieuse, / Vous aidant à braver aussi la mort, / Sauvant la vie par sa noblesse silencieuse. »
Des verres de vin rouge, des talons hauts, des bas couleur peau, des mains qui caressent la nuque de l’aimé.

« On n’aime qu’une fois et à jamais, / On est puni pour son refus d’aimer. »
Une courtisane.
« Je pressais mes genoux contre les vôtres, / Je rêvais de vous embrasser, / Sans gêne, prête à trahir quelqu’un d’autre, / Je chantonnais pour vous un slow français. »
Une affranchie.

« J’avoue, mon cher ami, sans mélodrame, / Que ce monsieur m’a plu immédiatement. / Manières exquises, Visconti dans l’âme… / Sur lui je peux vous écrire un roman. »
Une séductrice.
« Dans l’angle, mon homme, sur mot « nuit », / Il y a du chocolat – quelques coulures / Qui ont scellé ma lettre d’aujourd’hui. / Avec du fard j’ai mis ma signature ! »
Une empoisonneuse.
« Monsieur, je vous ai fait du thé, / Je l’ai agrémenté d’épices : / Brin de sommeil, pincée de vice, / Cuillère de vin de qualité. »
Une tentatrice.
« J’avais couvert mon lit de roses, / A minuit, je vous attendais, / Je souriais, chaste et vertueuse, / A la tempête qui grondait. »
Le désir brûle comme chez Louise Labé, si fort quand une femme exprime ses embrasements.
« Je sais que je serai absoute, / Sereine dans mon rêve anxieux. / Vous, Casanova sur ma route… / J’ai peur de vous aimer, Monsieur. »
Les quatrains sont des voiles aux rimes embrassées pour de pécheresses infidèles.
Mais, la muse est-elle plus forte que l’obsession d’amour ?
« La passion est stupide et je deviens comme elle. / A mes efforts les vices sont rebelles. »
Mais, Notre-Dame flambe.
« Tout reviendra. C’est la loi du chef-d’œuvre. / Dieu ne cesse d’être à l’œuvre. »
Sophie Bogarné, Chambre 409, dessins et photographies par Sacha Reznik, traduit en français par Florian Voutev, Editions Erik Bonnier, 2020