Maîtres et complices, par Pierre-Jean Amar et Carole Naggar, photographes, écrivains

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Arles 1976 satge Riboud
© Pierre-Jean Amar

« Alors, vous êtes allé le voir ? Il paraît que ses cours sont fabuleux. Les étudiants sont enchantés de leur rencontre avec cet homme. »

Les livres sur l’amitié sont des livres sur la fidélité et l’admiration, ils touchent parce qu’ils nous rappellent l’essentiel, quand menace pour tous l’effondrement psychique dans une époque d’involution.

Amoureux du corps des femmes et de la vie populaire, Willy Ronis croyait en l’homme, en ses combats, en sa dignité fondamentale.

Prépa du livre© Guy Le Querrec
© Guy Le Querrec

Pierre-Jean Amar, qui enseigna pendant dix-huit ans à l’Université de Provence l’histoire de la photographie, fut en quelque sorte son fils spirituel, qui se souvient dans un livre publié par Arnaud Bizalion de leur longue complicité, célébrant un maître et un ami.

Leur première rencontre date de l’université d’Aix-en-Provence en 1972, alors que Willy Ronis y donne avec beaucoup de bonheur des cours sur l’histoire de la photographie, y amenant ses diapositives et son projecteur pour un enseignement pionnier en France.

Pierre-Jean Amar se présente ainsi sur le mode de la parataxe pudique : « mort soudaine du père, mère dépressive et possessive, adulte à l’âge de l’adolescence, quête d’un père de substitution, choix inconscient de la photographie comme thérapie, recherche dans les images de la symétrie pour retrouver l’équilibre. »

WR et PJA ©eorges Chatain 2001
© Georges Chatain

La découverte lors d’un stage de Marc Riboud aux Rencontres d’Arles des photographies de l’ami de Brassaï, Doisneau et Izis, invité à les montrer, est un éblouissement pour les participants, prenant conscience de la valeur méconnue de l’artiste qu’ils ont parmi eux.
Modeste, mais occupant l’espace avec beaucoup de prestance, Willy Ronis est chaleureux, et ambitieux pour tous ceux qui se donnent vraiment les moyens de faire aboutir leurs projets.

La parution en 1980 de Sur le fil du hasard, marquant le retour au premier plan du photographe de Belleville Ménilmontant (textes de Pierre Mac-Orlan, 1954) vivant alors à Gordes dans le Lubéron, doit énormément à la force de persuasion de son jeune ami (trente-sept ans de différence d’âge), devenu en 1977 photographe professionnel indépendant, travaillant tous les genres – « une photographie contemplative dans la lignée d’Edward Weston et Ansel Adams » – et multipliant les expositions, tant en France qu’à l’étranger.

Arles 1976
© Pierre-Jean Amar

Aidé par Guy Le Querrec dont les relations s’avèrent précieuses, notamment celle de Claude Nori, Sur le fil du hasard voit le jour, après une intense réflexion concernant la sélection des images, les archives de Willy Ronis comportant en 1979, « ne serait-ce qu’en 24 x 36, plus de 60 000 négatifs et donc plusieurs milliers de tirages 18 x 24 – auxquels il faut ajouter toute la période d’avant 1954. »

Les découvertes sont nombreuses, notamment celle-ci : « un grand nombre de ses images sont construites sur un rythme ternaire en plusieurs plans étagés, comme par exemple la photographie faite à Anvers en 1957 dans une écluse de l’Escaut. On voit là un véritable découpage en trois parties presque égales : l’enfant dans la péniche en bas, les deux éclusiers au centre et le personnage sur le quai à l’arrière-plan. L’influence de la musique et en particulier celle du contrepoint est flagrante. »

Nul doute, le chiffre trois est bien celui de l’art.

1984 Bruno Heitz-
©Bruno Heitz

La projection au théâtre antique d’Arles, après cinquante ans d’oubli, des images de Ronis est un grand succès public. Dans la foulée, Le Fil du hasard obtient en 1981 le prix Nadar du meilleur livre photographique.

En 1983, en échange d’une donation, l’Etat lui attribue un appartement jusqu’à sa mort. Le photographe et sa femme reviennent vivre à Paris, dans le 12e arrondissement d’abord.

Des albums de référence sont produits, des portfolios, dont Pierre-Jean Amar retrace l’aventure, jusqu’à ce que Flammarion et la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine publient en 2018 une édition de 590 images sur près de 600 pages, Willy Ronis par Willy Ronis, « mais qui n’est pas une étude critique ni historique. »

Rencontres Internationales De La Photographie Arles 1980
© Marc Zaorski

On voit ici l’artiste dans de multiples situations, photographié à différents âges de sa vie par Denis Brihat, Georges Chatain, Jean-Pierre Chemin, Christian Chiotti, Jean-Claude Gautrand, Jean-Pierre Gilson, Roland Laboye, Jean-Michel Laurenti, Patrick Le Bescont, Guy Le Querrec, Georges Monti, Gilles Walusinski, Jean-Marc Zaorski, et bien sûr Pierre Jean Amar lui-même, regrettant cependant de n’avoir pas suffisamment documenté leur amitié, préférant la vivre que de la réfléchir déjà.

Une amitié avec Willy Ronis 1972-2006 est le récit très vivant d’une relation quasi filiale, enrichi de la présence de bon nombre des représentants du milieu de la photographie française.

C’est un ouvrage qui importe pour l’histoire de ce médium dans notre pays, précis, contenant des anecdotes savoureuses, cherchant à clarifier des situations méconnues.

Célébré pour son regard exceptionnel, le photographe resté proche de ses convictions communistes de jeunesse était aimé, pour son empathie envers chacun, son attention, sa chaleur, mais aussi sa pudeur, sa délicatesse, sa façon de séduire naturellement.

WR et l'étoile jaune de sa mère. Paris 2006
© Pierre-Jean Amar

N’ayant pu lui dire au revoir à l’instant de sa mort, pour des raisons douloureuses sur lesquelles il ne s’épanche pas, Pierre-Jean Amar a écrit un livre.

Willis Ronis : « C’était mon métier. Je l’ai exercé comme un plombier-zingueur consciencieux qui répare une fuite. Ce qui est étonnant, c’est qu’au cours des travaux les plus ingrats tout à coup le miracle se produit. La photo inattendue qui vous comble de joie, qui vous redonne de l’énergie à éclater, qui fait hurler à l’intérieur de vous-même ! Ces satisfactions permettent de passer les mauvais moments : périodes maigres, frustrations, idées que 90% des utilisateurs d’images sont incompétents.»

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Pierre-Jean Amar, Une amitié avec Willy Ronis, 1976-2006, Récit, texte Pierre-Jean Amar, Arnaud Bizalion Editeur, 2019, 192 pages

Site de Pierre-Jean Amar

Arnaud Bizalion Editeur

4.Bomarzo
Bomarzo, 1985 © Carole Naggar

On pourra retrouver Willy Ronis, parmi beaucoup d’autres artistes de renom rencontrés par Carole Naggar, dans Récits instantanés avec 22 photographies.

Elle le présente brièvement ainsi : « Je me souviens de Willy Ronis, son crâne pointu de faune, en train de raconter ses vols en paraplane. »

10.Doisneau 1980
Carole Naggar avec Robert Doisneau, Paris, 1980 © William Betsch

Ayant préfacé en 2017 In my Room de Saul Leiter, dans un superbe volume publié par Steidl [chroniqué dans L’Intervalle], Carole Naggar, écrivain et historienne de la photographie d’origine égyptienne, revisite sa vie au regard des paysages (Venise, le Japon, New York, Fès, Le Caire, Bomarzo) et des artistes ayant compté pour elle (Roland Topor, Pablo Neruda, Edouard Boubat, Eugène Guillevic, John Berger, André Kertész, Robert Doisneau, tant d’autres), dans un ouvrage comprenant quinze photographies personnelles, dont l’une de son père (merveilles de la composition au Leica de La mère de l’auteur au rocher du Diable, Sidi Bishr, Egypte, c. 1942), et sept autres d’Yves Berger, Edouard Boubat, Henri Cartier-Bresson, Bruce Davidson, Sophie Ristelhueber, William Betsch, Sabine Weiss.

Composé de courts paragraphes, Récits instantanés est écrit de façon non chronologique selon les principes des flashs mémoriels et du « je me souviens » perecquien.

Des vers le parsèment, ainsi ceux d’Alexandrie (1984), très beaux: « Mais déjà les derniers juifs du Nil se courbent. / Les ultimes meurent en terre d’Egypte / Leurs enfants dispersés à poignées par le monde. »

Vers libres ou prose poétique : « Déjà les étoiles tatouées pâlissent aux poignets des derniers paysans juifs du delta et les petits sanctuaires tombent, leurs dômes crevés comme coquilles d’œufs. »

15.Kertesz 1980
Carole Naggar avec André Kertész, Paris, 1980 © William Betsch

On peut entendre ici la voix de John Berger, d’Henri Cartier-Bresson, d’André Kertész, de Sabine Weiss, de Mark Brusse, de Michel Carrouges, spécialiste du surréalisme.

« Je me souviens d’Henri Cartier-Bresson qui me parlait de la Guerre civile espagnole : « J’avais le typhus et de grosses pustules sur la tête, et quand je filmais les blessés, j’avais le crâne emmailloté comme eux d’un énorme bandage. » »

On l’aura compris, Récits instantanés avec 22 photographies est, à l’instar de celui de Jean-Pierre Amar, un livre d’amitiés, un éloge de l’art comme puissance de liberté, une attention portée à ceux que l’histoire malmène (exilés, persécutés), une rétrospection pariant à la fois sur le détail et les vastes mouvements biographiques pour ne pas oublier tout à fait pourquoi l’on vit.

couv 1 récits naggar

Carole Naggar, Récits instantanés avec 22 photographies, Atelier de l’agneau, collection biophotos, 2019, 146 pages

Atelier de l’agneau

23.Weiss
Je suis un cheval, 1952 © Sabine Weiss

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