L’incurable présent et le feu du verbe, par Guillaume Basquin, écrivain

« qu’est-ce qui fait 999 fois clic-clic & une fois clac me demande ma plus jeune fille Ninon ? le savez-vous ? non ? eh bien un mille-pattes avec une jambe de bois pardi ! »

C’est entendu, cet homme-là est le diable, ou tout simplement un dément.

Quel crédit en effet accorder à un individu capable de confondre un tableau de Malevitch avec un aéroplane volant ?

On l’insulte, il insulte derechef, le verbe haut, la gorge chaude, les yeux brûlés, dans la belle tradition surréaliste-situationniste.

On veut le terroriser, il réplique, atomise, monte à huit mille pieds.

Il exerce une veille vigilante sur la façon dont le pouvoir politique instrumentalise la santé afin d’asseoir des lois liberticides, il ne cesse de renvoyer des liens, de chercher la petite bête dans le gros animal social, il n’est pas droit-de-l’hommiste au sens où vous l’entendez, il est insupportable.

Voilà pourquoi il faut lire L’Histoire splendide, texte multiple, polyphonique, polymorphe, polylingue, en cing parties + un épilogue, titre dont on se souvient qu’il s’agit d’un projet de livre avorté d’Arthur Rimbaud : Au commencement (« était le foutre ») / Mille romans (Un chapitre que peut sauter quiconque n’a pas d’opinion personnelle sur le maniement des pensées) / Terreur (de la Révolution française par ses célibataires mêmes au fascisme sanitaire) / Entracte (Pourquoi j’écris de si bons livres) / Journal de CONfinement (Le présent est incurable) / Epilogue.

Il s’agit ici de raconter, pour ce lecteur de Paul Virilio comme des écrivains les plus irréguliers de la bibliothèque, l’Histoire sur plus de quarante siècles, « jusqu’à l’accident global des communications instantanées que fut la crise du coronavirus, tout en mélangeant les langues de façon babélienne : pas de traduction des auteurs anglais cités : musique des sphères ! »

Voilà pourquoi cet essai est publié dans la collection Chant des éditions Tinbad, dont Guillaume Basquin est le principal mousquetaire.

En exergue, ceci : « Pour mes amis complotistes, pas pour le public. »

Le ton sera rabelaisien, lautréamontesque, joycien, célinien, sollersien, basquien.

Le texte est un rouleau, un mandala, un vase de récupération, sa méthode relevant de l’intersexualité des termes et de l’art permutationnel.

« je suis toutes les formes à la fois : musicale peinte cinématographiée composée montée sculptée & enfin calligraphiée : c’est une suite de minuscules poèmes où les mots se touchent & s’ é c a r t e n t »

Il faut le lire pour le croire.

Mille romans est un ensemble de 999 fragments, ou plateaux (+ une gueule de bois ravie), et tout y passe : les progrès de l’amnésie, la carbonisation des espèces végétales supérieures, le plagiat intégral, Fidel Castro, Guy Debord, #MeToo, Mao Zedong, le cinéma, les experts médiatiques, les livres qui dansent (ou pas)…

Proposition 54 : « Il faudrait être fou pour laisser entendre qu’on écrit. »

Proposition 57 : « pendant la crise internationale du covid-19 / rien ne fut plus médusant que l’ensemble du PC chinois masqué – la Gorgone postmoderne nous apparut bien sous cette forme là – bien peu furent ceux à lui opposer / comme Persée autrefois / un moderne bouclier magique : fermer tous les robinets de tous les tuyaux / absolument infectés / des infos en continu »

Proposition 88 : « la Peste en route pour Bagdad quand elle rencontre Nasruddin – où vas-tu ? demande Nasruddin – je vais à Bagdad pour tuer dix mille personnes – plus tard la Peste croise à nouveau Nasruddin – très en colère ce dernier lui dit : tu m’as menti / tu as dit que tu tuerais dix mille personnes & tu en as tué cent mille – je n’ai pas menti / j’en ai tué dix mille / les autres sont mortes de peur »

Proposition 93 : « au début était le rythme : avant même l’écriture l’homme-chasseur apprit à connaître ses proies par le rythme de leurs mouvements : leurs traces furent la première écriture qu’il sut déchiffrer – elle se gravait toute seule dans le sol mou / & l’homme qui la lisait y associait le bruit qui en était l’origine – plus court chemin de Lascaux au Sacre du printemps »  

Les fulgurances s’enchaînent.

Proposition 108 : « la citation n’est pas un extrait / la citation est une cigale / sa nature est de ne pouvoir se taire / une fois accrochée à l’air elle ne le lâche plus »

Proposition 120 : « Céline c’était le feu lui-même – on peut aimer la chaleur du feu / mais personne ne veut s’y brûler – sauf les vrais fous de littérature »

Proposition 126 : « la révolution numérique a engendré des millions & des millions de Bouvard & Pécuchet – & cela semble être irréversible »

Proposition 158 : « le phallus est une colonne de sang qui remplit la vallée de sang de la femme – le puissant fleuve de sang masculin va toucher dans ses ultimes profondeurs le grand fleuve de sang féminin »

L’Histoire splendide est un labyrinthe, sans centre, advienne que pourra du lecteur intrépide.

Proposition 174 : « quand le dernier arbre sera abattu la dernière rivière empoisonnée le dernier poisson capturé / alors le visage pâle s’apercevra que l’argent ne se mange pas – dit de Sitting Bull »

Proposition 176 : « l’incantation est la forme originelle de la poésie – & voici pourquoi Pierre Guyotat fut l’un des plus grands poètes français du dernier demi-siècle : les soldats / casqués / jambes ouvertes / foulent / musclent retenus / les nouveau-nés emmaillotés dans les châles écarlates / violets : cure de l’âme »

Proposition 211 : « Sade est le feu où jeter la plupart des manuscrits de romans qui circulent aujourd’hui »

Proposition 299 : « tous les poètes réécrivent le même poème universel inachevé : Le Livre ! »

Etc. etc. etc.

Et c’est jubilatoire.

Passons maintenant à la Terreur.

« en décembre 2020 / un premier mien ami a tenté de se suicider à cause / semble-t-il / de l’horizon totalement bouché par la Terreur sanitaire »

 « La terreur covidiste ‘made in France’ est l’héritière directe de la Terreur révolutionnaire de 93 – je dois cette pensée à Pascal Boulanger »

Epilogue ? « c’est en souvenir de l’ancienne dignité de la presse que ce triste épilogue sur la dévastation médiatique en cours a été écrit »

Et publié en trois cents exemplaires.

Combien seront sauvés ?

Guillaume Basquin, L’Histoire splendide, Tinbad chant, 2022, 342 pages

https://www.editionstinbad.com/tinbad-chant

https://www.pollen-difpop.com/A-98792-l-histoire-splendide.aspx#.Y2vHScuZPIV

https://www.leslibraires.fr/livre/20440794-l-histoire-splendide-guillaume-basquin-tinbad?affiliate=intervalle

Laisser un commentaire