
Les peintures de Djamel Tatah sont immédiatement reconnaissables : des personnages mélancoliques, songeurs ou soucieux, isolés sur des aplats de couleurs, des migrants stoïques étonnamment présents malgré leur allure de silhouettes découpées.
Il y a en eux une insondable solitude, mais aussi toute la trame des drames contemporains – les millions de déplacés, de déportés, que décrit Paul Virilio dans ses travaux récents. Pourtant, l’impression première est davantage métaphysique qu’historique.
Les hommes et femmes androgynes qu’il représente sont d’une humanité atemporelle. En chacun, il y a une attente considérable, un accablement souvent, une introspection.
Ce sont des figurants errant, perdus, sur une scène gigantesque, des personnages en quête d’auteur, des poumons blessés.
Né en 1959 de parents algériens, formé à l’école des Beaux-arts de Saint-Etienne, enseignant depuis 2008 à l’école des Beaux-arts de Paris (ENSBA), Djamel Tatah ne cesse de dialoguer avec les maîtres du passé, notamment les primitifs italiens, et la peinture monochrome moderniste.

Dans une exposition conçue par Eric Mézil à Avignon, dont rend compte un catalogue publié par les éditions Actes Sud, les peintures de Djamel Tatah « sont entourées de chefs-d’œuvre du XXe siècle et de somptueux dessins anciens prêtés par le Cabinet des dessins de l’Ecole des beaux-arts de Paris, et d’autres « pépites » prêtées par Yvon Lambert qui aime autant l’art ancien que l’art contemporain. »
En ces territoires de haute sensibilité, de paix, Corneille de Lyon et Leila Alaoui peuvent converser librement, de même qu’Adel Abdessemed et Joachim Patinir, Alberto Giacometti et Cy Twombly, une tête lobi du XXe siècle et un anonyme bolognais du XVe siècle, la Flagellation de Piero della Francesca et une couverture kabyle tissée, qui est un hommage de l’artiste à sa mère.
Matrice de tous les désirs, de sublimes Barnett Newman offrent leur inépuisable espace de méditation aux figures anonymes du peintre camusien.

L’Etranger, Le Désert, L’été, Noces, Le Malentendu, Le Mythe de Sisyphe, La Chute, chacun de ces titres ne pourrait-il pas légender une peinture de Tatah ?
Décrits parfois comme des gisants, ses personnages sont, pour paraphraser Georges Didi-Huberman, des vivants debout malgré tout.
Peu ou pas d’éléments décoratifs, mais des corps seuls faisant face à leur destin, des colonnes d’air retenu pour ne pas craquer.
Fraternité des exilés, géométrie de l’inquiétude, précarité.
Les êtres que peint Tatah semblent en attente d’une parole fondamentale qui viendrait les sauver, et s’ils font souvent penser aux figures de Piero della Francesca, c’est que l’acceptation de la fatalité est une façon d’espérer peut-être une résurrection, d’anticiper, pendant très longtemps, mais qui sait, la venue de la parousie.
Monochrome éblouissant des derniers/premiers jours.
Djamel Tatah, textes d’Emmanuelle Brugerolles, Eric de Chassey, Danièle Cohn et Eric Mézil, Actes Sud, 2018, 176 pages – ouvrage français/anglais
Ce livre accompagne l’exposition Djamel Tatah, Echos à des peintures et dessins classiques et aux monochromes de la Collection Lambert, Collection Lambert, Avignon – du 3 décembre 2017 au 20 mai 2018