
C’est en tant que veilleur et passeur attentif à la parole parlante qu’Arnaud Le Vac, a pensé Le sac du semeur, la revue qu’il anime, où la poésie et l’art occupent une place structurante.
La combativité, la voyance et le désir d’infini d’un Victor Hugo guident son ambition poétique, de l’ordre d’un dégagement, d’une expérience de liberté.
Ses compagnons d’armes, Marcelin Pleynet, Alain Jouffroy, Pierre Nivollet, Mathias Pérez, le prouvent, en langue, en art, la vie peut être pleinement vivante.
Nous avons conversé à propos du deuxième numéro de sa revue.
« La littérature est nécessairement orientée, sinon elle n’est que du vent. »
Êtes-vous l’unique fondateur et animateur de la revue numérique et papier Le sac du semeur ? Pourquoi avoir choisi de créer une revue ? Est-ce un acte gratuit ? Où peut-on la trouver en version papier ?
Je suis l’unique fondateur et animateur de la revue Le sac du semeur. J’ai contacté les poètes Marcelin Pleynet, Claude Minières, Pascal Boulanger, Serge Ritman, les peintres Pierre Nivollet et Mathias Pérez, et c’est de leur contribution qu’est née la revue le Semeur. J’ai choisi de créer une revue de poésie et d’art pour jeter un pont entre les deux rives. La poésie et l’art vous situent immédiatement, non pas dans un mime de la langue qui serait de l’ordre de la communication, mais dans une pratique du langage qui a à voir avec l’émotion. C’est un acte gratuit, si vous voulez, mais situé. Les peintres Pierre Nivollet et Mathias Pérez sont scandaleusement méconnus. Leur pratique de la peinture engage une tout autre activité de l’art que celle que l’on entend par art contemporain. Il en va de même pour la pratique de la poésie de Marcelin Pleynet et de Claude Minière, de Pascal Boulanger et de Serge Ritman, qui n’ont que très peu à voir avec ce qui se publie sous le nom de poésie. Je fais cette revue pour être en situation d’agir et de penser dans mon époque et contre celle-ci. La revue Le sac du semeur est une revue numérique annuelle et gratuite. J’imprime un livret que je destine aux contributeurs du numéro et que je donne ou que j’envoie à quelques personnes. Il m’arrive d’en déposer quelques-uns dans des cafés parisiens. Je ne ménage aucun public. Je suis de nature solitaire et solidaire, comme l’a formulé Hugo depuis son exil.

Comment avez-vous pensé le sommaire de votre deuxième numéro, où la poésie tient une place prépondérante ? La sensation poétique du monde unit-elle l’ensemble des textes rassemblés ici ? Vous aimez citer Guillaume Apollinaire, à moins qu’il ne s’agisse de Martin Heidegger : « Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie. »
Oui, la poésie occupe une place prépondérante, sinon centrale, comme je l’invite à en faire soi-même l’expérience dans Pensez à ceux qui voient qui ouvre la revue et qui reprend le billet surréaliste « VOUS QUI NE VOYEZ PAS : PENSEZ A CEUX QUI VOIENT. » Cet écrit est précédé de la citation d’Hugo « Les poètes seuls parlent une langue suffisante pour l’avenir ». C’est la pensée qui vient à Hugo en remportant son combat contre Napoléon III. La revue Le sac du semeur 2 tient à cet acte de résistance et de dissidence du poète en se refermant avec un dessin de Victor Hugo sur le rocher des Proscrits (Jeanne Gatard). Ou bien encore, dans le numéro 1, avec la publication de La pensée comme dissidence d’Henri Meschonnic. Cette citation d’Alcool que j’ai reprise dans cet écrit qui ouvre le sac du semeur 1 « Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie » est une lecture d’Hugo par Apollinaire. Chaque sensation, chaque émotion, chaque pensée est non seulement unique, mais un monde en soi, si l’on n’oublie pas le langage et la vie. C’est un vivre langage à l’encontre d’un être-là. Le rapport au langage ordinaire dans la poésie d’Hugo et d’Apollinaire est extrêmement émouvant. Il n’y a rien de cela chez Heidegger. Heidegger est quelqu’un qui s’est définitivement condamné au passé. Je reste méfiant à l’égard de la phénoménologie et de l’existentialisme qui manquent la poésie et ne permettent pas de penser le langage et la vie. Le langage et le politique, le poème et l’éthique, le temps et l’histoire font le sujet dans son rapport au monde et au langage et doivent être pensés ensemble. C’est ce qui fait qu’en lisant Hugo et Apollinaire, le poème passe avec les lecteurs et renouvelle le monde. Que le poème parle une langue suffisante pour l’avenir.
Vincent Motard-Avargues, Lou Coutet, Fabiana Bartuccelli, Laurent Mourey, qui sont ces poètes à qui vous donnez la parole ?
Vincent Motard-Avargues, Lou Coutet, Fabiana Bartuccelli, Laurent Mourey ont été invités à publier un inédit de leur choix dans Le sac du semeur 2. Vincent Motard-Avargues a créé la revue Ce qui reste, et a publié plusieurs livres de poésie. Son écriture posant la question de son rapport au langage et au réel m’a tout de suite beaucoup intéressé, comme sa discrétion et son écart présent dans tout ce qu’il fait. Lou Coutet tient un blog, Il me semble, où l’on peut découvrir son écriture, à l’opposé du sans phrase, sans sujet, sans langage, que représente désormais la poésie comme exercice esthétique. Fabiana Bartuccelli a une culture classique et moderne qui déborde constamment sa vie et son écriture, et qui permet au sujet de vivre dans la continuité du langage. Laurent Mourey est rédacteur à la revue Résonance générale, et a publié deux livres. Il est pour moi une voix de la poésie qui compte aujourd’hui. Je recommande vivement la lecture de ses écrits théoriques et critiques.

Vous consacrez un important dossier au peintre et graveur Pierre Nivollet. Comment avez-vous rencontré son œuvre ? Qu’en est-il aujourd’hui de la réception de son travail ? Où est-il exposé ?
Oui, ce dossier sur Pierre Nivollet s’est imposé de lui-même comme celui de Mathias Pérez dans le numéro 1. Il y a pour moi de nombreuses similitudes entre l’activité de Mathias Pérez et l’activité de Pierre Nivollet. Tous deux ont fondé une revue : la revue Documents sur pour Pierre Nivollet, la revue Fusées pour Mathias Pérez. Tous deux ont parti pris dans leur vie avec la poésie. Et tous deux pratiquent la peinture sans frontière aucune entre l’art abstrait et l’art figuratif. C’est dans leur œuvre, bien au contraire des artistes contemporains, pas un problème. La peinture existe. Et tant Mathias Pérez que Pierre Nivollet, réinventent chacun à leur façon la peinture. Et c’est aussi pourquoi il est très difficile pour eux d’être exposés. Ainsi s’arrête ma comparaison. J’ai rencontré Pierre Nivollet lors d’un vernissage qui avait pour titre Correspondance avec…, grâce à Marcelin Pleynet et à Florence D. Lambert. Cette exposition a été conjointe à la publication de Nouvelle liberté de pensée de Marcelin Pleynet. Voilà les enjeux ! J’ai pu voir à loisir cette série de peintures et apprendre combien la couleur est décisive dans l’œuvre de Pierre Nivollet. J’ai glané par la suite quelques catalogues d’expositions. Je publie dans Le sac du semeur 2 des reproductions de ces catalogues portant sur son travail des années 1980-1990. Deux écrits de Marcelin Pleynet accompagnent ce dossier qui permet, enrichi d’un entretien avec le peintre, d’entrer en rapport avec sa pratique de la peinture. Les œuvres de Pierre Nivollet ne sont pour ainsi dire pas exposées dans les galeries ou une galerie en particulier : le peintre cultive sa peinture et son art de peindre à l’abri des regards. Pierre Nivollet est en cela très proche du peintre Nicolas Poussin. Mais son usage de la couleur a à voir avec Venise. La légèreté et la grâce priment dans tout ce qu’il fait.
L’écrivain et critique Marcelin Pleynet apparaît dans les deux numéros de votre revue. Quelle est son importance pour vous ?
Capitale. Pour moi Marcelin Pleynet est le poète du Propre du temps, de Notes sur le motif suivi de La Dogana et du Póntos. Le Propre du temps tient le sujet dans une envergure qui n’a pas d’équivalent. Il y a un avant et un après avec Le Propre du temps. Je fais le pari avec vous que sans ce livre la poésie n’existe plus. Je sais en disant cela que vous lisez attentivement Marcelin Pleynet ! Les enjeux du Propre du temps se donnent aisément à comprendre dans Notes sur le motif suivi de La Dogana et Le Póntos. Voilà quelqu’un qui vit et pense, parle tout à coup dans ce qu’il y a de moins prévisible, opère directement sur le langage là où le mal se trame et vous propose un dégagement dans le sens de Lautréamont et de Rimbaud, qui ont tous les deux combattu activement contre l’aménagement de la terreur. Le propre du temps reste à lire. Si vous voulez, dans mon livre On ne part pas – publié cet été aux Éditions du Cygne, et dont vous avez été le premier à souligner les traits -, dans lequel je me dispose à la poésie, je commence ainsi en invoquant Le Propre du temps : « Les livres et les disques,/ rangés sur les étagères,/ posés sur les tables,/ ont leur silence propre/ comme le temps lui-même ». C’est au lecteur d’en décider. La terreur est-elle française ou pas française ? À vous de voir. Marcelin Pleynet a mené une interrogation vers Lautréamont et Rimbaud, vers Émile Benveniste et Roland Barthes, vers Victor Bérard et Homère, vers Heidegger et Parménide, vers Héraclite et Pindare, vers Apollinaire et Ezra Pound, avec une élégance et un souci de liberté que je n’ai vu à proprement parler que chez lui. Je citerais volontiers ici avec vous cette phrase du Póntos pour donner à entendre ce qu’il en va d’une telle activité : « L’art et la connaissance fournissent dans leur rapport réciproque la pleine sécurité de l’érection du vivant ».
Les noms de Marcelin Pleynet, Lautréamont, Arthur Rimbaud, Philippe Sollers, Claude Minière structurent votre texte liminaire. N’êtes-vous pas un enfant de la revue L’Infini ?
Je suis un enfant d’Hugo. Pistolet au poing de la main gauche et main droite tirant en l’air comme dans le tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple ! Et heureusement : Hugo dans ma besace ! Enfant de L’Infini dans le sens d’Hugo parlant de l’infini : « Nous ne pouvons pas plus vous nier que nous ne pouvons nier l’infini. Vous êtes l’illimité évident ». L’Infini s’inscrit dans une longue tradition de revues dont Marcelin Pleynet et Philippe Sollers comme vous savez ont mobilisé un travail considérable pour défendre la poésie et l’art. C’est dans cette revue que j’ai découvert pour ma part les poètes Cees Nooteboom et Hans Magnus Enzensberger. C’est aussi dans cette revue qu’ont publié Jacqueline Risset, Claude Minière, Alain Jouffroy. C’est encore dans cette revue où les noms de Lautréamont et de Rimbaud ont été défendus le plus âprement. Je reprends dans ce liminaire la lecture d’Hugo et de Baudelaire, de Lautréamont et de Rimbaud en citant les lectures qu’en ont fait Henri Meschonnic et Émile Benveniste, André Breton et Tristan Tzara, Guy Debord et Marcelin Pleynet, Philippe Sollers et Alain Jouffroy, Claude Minière et Pascal Boulanger, pour montrer à quel point la lecture engage le sujet de celui qui lit et qui écrit. Lire et écrire sont une même activité, tout comme le sont vivre et penser. Je dis dans cet écrit à propos d’Hugo et de Baudelaire, de Lautréamont et de Rimbaud, qu’« il me semble que le XXe siècle ne se fait pas sans eux, plus à même que tout autre de penser notre rapport au monde ». Je juge cette « expérience difficile, voire impossible à faire si l’on n’est pas un tant soit peu lecteur ». Le sujet vous engage dans le langage et la vie.
Grâce à l’aimable autorisation de sa compagne, Fusako Jouffroy, vous faites revivre la poésie de l’auteur du Manifeste de la poésie vécue (Gallimard, 1995), le grand singulier/vivant/individualiste révolutionnaire Alain Jouffroy. Comment le lisez-vous ?
Alain Jouffroy a écrit les plus beaux textes que l’on puisse lire sur André Breton. L’œuvre d’André Breton est pour moi avec celle de Tristan Tzara la plus décisive du XXe siècle. Alain Jouffroy a été l’un des fondateurs de la revue Opus internationale qui est l’une des revues les plus influentes de la seconde partie du XXe siècle. De l’individualisme révolutionnaire et La vie réinventée demeurent deux livres très importants pour comprendre les enjeux de la pensée du XXe siècle. « Le réel est un continent à redécouvrir dans tous ses détails », écrit-il dans Le Manifeste de la poésie vécue. Je publie dans Le sac du semeur 2 Le dé de l’homme qui rit (quatre poèmes avec lesquels Alain Jouffroy rend hommage à Hugo, à Voltaire et à Nietzsche) et Brisons le silence (un inédit que je publie grâce à Fusako Jouffroy). Il y a une influence capitale de l’œuvre de Nietzsche, de Voltaire et d’Hugo dans la poésie d’Alain Jouffroy. Je suis d’accord avec lui quand il dit dans Le manifeste de la poésie vécue : « Il n’y a pas de poésie sans éveil ». Son Arthur Rimbaud et la liberté libre que je cite dans Pensez à ceux qui voient, reste à lire. La poésie d’Alain Jouffroy est l’une des plus combatives, révoltées, ironiques et libres qui soient. On sait peu de choses de la vie cosmopolite d’Alain Jouffroy. Alain Jouffroy est quelqu’un qui s’est tourné très tôt vers l’Italie et de façon singulière en vivant près de dix ans à Venise. Le poème L’espace de la rencontre est une main tendue aux lecteurs : « Tout est prêt pour que retentisse l’appel// Celui qui doit apparaître/ Ne s’est pas encore avancé sur l’embarcadère/ Le gondolier ne lui a pas encore tendu la main// L’étendard triomphal se balance dans l’absence provisoire ». Je lis Alain Jouffroy avec beaucoup de plaisir et d’émotion. Je vous recommande la lecture de libre Venise qui est un manifeste du savoir-vivre.

Après avoir montré le photographe Didier Ben Loulou (Le sac du semeur 1), vous êtes attentif à la photographie de Martine Barrat, dont vous présentez douze images d’une série new-yorkaise, South Bronx, 1970 – 1976. La présence de ce corpus d’images est inattendue dans votre revue. D’où procède votre désir d’offrir son travail à vos lecteurs ?
Les photographies de Martine Barrat sont toute sa vie. Chaque photo est une rencontre, une histoire. Une histoire qui ne se fait pas sans la personne, mais avec elle. La pratique de la photographie de Martine Barrat a à voir avec son engagement pour la vie. Ce n’est pas seulement un travail, mais un combat au quotidien. Le sien est celui aussi des gens qu’elle rencontre. Cela donne ces images uniques que vous ne pouvez pas regarder sans y prendre part. C’est là tout son art. Vous voilà dans le Bronx ou à Harlem. Alain Jouffroy a raison de dire d’elle qu’elle est « la violence de la douceur » et qu’« elle y est entrée comme dans son élément à elle ». Je publie avec Martine Barrat ces photos qui ont été exposées cet été à New York. Je crois que Martine Barrat aura un jour son musée à Harlem. Elle en est en tout cas la mémoire vivante. Tout comme le disait son ami Ornette Coleman à son propos : « La vie est vivante ». Qui oserait dire aujourd’hui qu’Ornette Coleman n’était pas un prophète ? Je crois que c’est une prophétie.
Quelles revues lisez-vous aujourd’hui ? Si vous en aviez les moyens, quelle serait votre revue idéale ?
Je reste un lecteur convaincu de la revue L’Infini qui consacre dans son dernier numéro (le numéro 140) un dossier sur Marcelin Pleynet. J’accorde une grande importance aux numéros de l’année 1998. Je suis aussi un lecteur de la revue Fusées dont les 22 numéros demeurent pour moi une référence constante (Mathias Pérez). Je citerais volontiers la revue Europe dont bon nombre de numéros sont dans ma bibliothèque (Victor Hugo, André Breton, Tristan Tzara, Michel Butor, Bernard Noël, Henri Meschonnic). Je lis autrement avec beaucoup d’attention la revue Résonance générale (L’Atelier du Grand Tétras) qui pense vers Émile Benveniste et vers Henri Meschonnic. J’apprécie également l’énergie combative de Guillaume Basquin et Les Cahiers de Tinbad (Éditions Tinbad). Il serait difficile d’évoquer aussi tout ce qui se passe actuellement sur la toile. Sinon, j’aime relire la revue Potlatch (Guy Debord) et la revue TXT (Christian Prigent). Je constate que la plupart des revues littéraires n’ont pas la qualité de ces deux dernières revues. La revue idéale doit avoir pour but quelque chose de la feuille de chou (rapidité) et de la revue d’art soigneusement imprimée (travail conséquent). La littérature est nécessairement orientée sinon elle n’est que du vent.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Revue Le sac du semeur 2, 2017, 82 pages
Arnaud Le Vac, On ne part pas, Editions du Cygne, 2017, 56 pages
Revue L’Infini, Philippe Sollers et Marcelin Pleynet, Gallimard, numéro 140, été 2017, 128 pages
Philippe Sollers : « Le vrai charme appartient à celui, ou à celle, qui est allé, les yeux ouverts, dans son propre enfer. C’est très rare, et il s’ensuit une gaieté spéciale, teintée d’un grand calme. »
Marcelin Pleynet : « Puisque la critique française a en général la réputation d’être une critique littéraire, je vais m’employer aujourd’hui devant vous à confirmer et justifier cette réputation. »
Philippe Sollers : « Sommeil, et aucun repos, détails absurdes, gestes approximatifs, oublis multiples. Et, simultanément, grande sérénité mémoire précise, confiance fondamentale. Vous volez aussi bien que vous titubez. C’est le prix à payer. Tout vient à vous, tout s’éloigne de vous. Vous devenez un cas central pour la science. »
Marcelin Pleynet : « Chaque situation autorise ce qui la constitue et ce qui la découvre et l’ouvre à un nombre infini d’autres situations. »
Les grands entretiens : Marcelin Pleynet, par Pascal Boulanger, Jacques Henric, Catherine Millet, préface de Catherine Francblin, Art Press, 2017
Marcelin Pleynet, L’Expatrié, Gallimard, 2017, 80 pages – parution le 19 octobre
Avec une grande maîtrise de l’art du récit court, et une vraie jeunesse sensuelle, Marcelin Pleynet déploie de nouveau avec L’Expatrié ce qui fonde toute son œuvre : une sensation de liberté, en corps et en langue, née de la fréquentation intime des œuvres (musique, peinture, littérature, sculpture) pensées et vécues comme extension de la nature, un souverain dégagement, une façon d’expérimenter pleinement l’art de la fugue.
« Malgré la saison, le plein été, l’hôtel semblait vide… Trop éloigné de toute agglomération, ou encore parce qu’en cette partie du littoral, la torride, l’immobile chaleur faisait fuir les touristes. »
Quatre parties, des ellipses, un brassage des tempos, silences, espaces et saisons à la façon du maître Ernest Hemingway.
Phrases courtes, leitmotivs, concert des points de suspension, mystère de la simplicité.
« Lorsqu’il décida de fuir son pays, de quitter les siens, il découvrit comme un abîme, et comme un trésor en abîme, la violence de ce désir de liberté qui ne serait qu’à lui. La violence d’un désir qui recommence, efface et recommence… »
Détachement, éloignement, étourdissement, sommeil.
Ciel, lumière, eau.
« Elle travaillait… et la campagne autour d’elle comme un clavier. Elle reprenait la même phrase jusqu’à ce qu’elle y retrouve la partition de son univers et… jusqu’à l’horizon, jusqu’à ce qu’elle s’y retrouve en corps, étendue comme cette campagne, et jusqu’à l’horizon. »
Des personnages, à peine, Rom/Roman, Halina, leurs jumeaux, Odette la musicienne.
Transmission, temps large, respiration, amarres rompues. Des passages. Des enlèvements.
« Que le sensations elles-mêmes soient comme l’écho de la sagesse… Pluie du clavier sur le feu brûlant… Le rouge aux joues… Le dessin souple, musclé, du mouvement lent… Vitesse… Pluie atomique du désir… Funambule… Tout l’orchestre… L’emportement acrobatique… »
L’écriture, comme une aile rouge bordée d’or.
Une mélancolie. Une joie.
Rimbaud : « En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et toute l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes. »
Marcelin Pleynet : il nous faut trouver un royaume, notre royaume.
« C’était là, c’était bien là qu’était sa vie… »
L’Expatrié se lit en une heure, qui en vaut mille.
Se procurer le volume Grands entretiens, avec Marcelin Pleynet