Les vraies richesses, par Lucien Jacques et Jean Giono, amis

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« Ecoutez compagnons… »

Lucien Jacques, Le sourcier de Giono est un très beau titre pour évoquer la mémoire de celui qui fut graveur, peintre (essentiellement aquarelliste et graveur), poète, directeur de revue, et éditeur important, publiant le célèbre écrivain dès les années 1920.

Concomitante de l’exposition Giono présentée au Mucem, une deuxième exposition au musée Regard de Provence à Marseille – accompagnée d’un très beau livre chez Actes Sud – présente aujourd’hui au grand public cette relation exceptionnelle et la pluridisciplinarité d’un éditeur Protée, montrant des lettres (on en a retrouvé trois cent cinquante entre 1922 et 1955), des photographies, des documents d’archives, des aquarelles, des bois gravés.

Tous deux fils d’un père cordonnier, comme Gaston Chaissac et Louis Guilloux, Jean Giono (1895-1970) et Lucien Jacques (1891-1961) furent pacifistes – durement éprouvés par la Première Guerre mondiale -, et fascinés par la puissance de la nature des alentours de Manosque, sombre, tragique, hellénistique chez l’un, de lumière et d’allégresse chez l’autre.

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Jacky Michel décrit ainsi cet ami précieux qui présenta le manuscrit de Colline à Grasset : « Doté d’un physique fluet et d’une santé fragile (séquelles de la guerre de 1914-1918), Lucien Jacques se pare très tôt d’une moustache, d’une mèche et d’un béret qui deviennent ses attributs permanents. Sa démarche dansante, ses yeux francs et souvent malicieux attirent le regard. Il émane de lui quelque chose de particulier qui intrigue, puis séduit ceux qui l’approchent. Sa grande soif de liberté ne l’empêche pas d’être très entouré : que ce soit à Paris, en Provence ou à l’étranger, des amis sont prêts à l’accueillir, sa présence étant la garantie de moments de plaisir. »

Né dans la Meuse, installé à Paris avant de rejoindre en 1922 Grasse pour des raisons de santé, Lucien Jacques fut ce saint homme initiant la splendide traduction de Moby Dick, de Melville, par Jean Giono.

« Peintre de la figuration poétique » (Roger Sailles), l’éditeur chérissait l’instant, la vivacité, la clarté, ce dont témoigne une production de cinquante ans d’aquarelles heureuses.

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Jacques Prévert qui l’admirait le décrit ainsi : « ce n’était pas un touriste pictural, simplement un émigrant, un meurt-de-soif, un homme de la peinture à l’eau vive, fuyant le bruit mauvais, la boue souillée et le ciel gazé. »

Il y a chez Giono et Lucien Jacques la conscience de la force de la rusticité, et de la grâce de la simplicité, le pédantisme étant l’ennemi de l’intelligence et de la sensibilité.

Les poèmes de Jacques font songer quelquefois aux Bucoliques de Virgile, ils sont immédiats et fraternels : « Toi ! Je t’ai recueilli, gluant, dans les lavandes. / Toi, je t’ai bouchonné d’une touffe d’aspic. / Je t’ai porté jusqu’à l’abri, / Couché dans un pli de ma veste, / Ta brebis de mère aux talons. / Toi, pantelant comme une offrande, / Toi, je t’ai saupoudré de sel / Pour que ta mère t’allaite mieux. »

La poésie est bien plus chez lui qu’un genre littéraire, c’est un mode d’existence, un accès au cœur vibrant de toute chose.

C’est une danse d’inspiration grecque que symbolise à la perfection cette « Niké vivante», enfant naturelle de Walt Whitman, qu’est l’Américaine Isadora Duncan, sur qui il écrit superbement : « Elle est tour à tour, ou en même temps, l’arbre sous le vent, la vague souple, le vol trépident de l’oiseau, le glissement aérien des nuées, la course nerveusement cadencée des bêtes forestières ; elle est tout cela, et de plus, toute l’humaine Passion ; les affres et les effrois soudains, et les détresses, et les déchirements de l’âme et de la chair. Elle est la vie. »

Photographié par Denise Bellon en 1941 dans la maison de Giono à Manosque, Lucien Jacques a le visage d’un pâtre antique ayant enfilé un costume de laine pour aller en ville. Son regard est profond, et l’on sent en lui un mélange de douceur et de force de conviction inébranlable.

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En Lucien Jacques, « chère andouille notoire » (sic), Giono a reconnu un homme à sa démesure, le messager qu’il lui fallait.

« La correspondance avec Lucien Jacques, précise Jacques Mény, représente l’échange épistolaire le plus important que Giono a entretenu avec un autre artiste. A travers elle, écrit Pierre Citron qui en a établi et annoté le texte, publié par Gallimard dans les «Cahiers Giono » en 1981 et 1983, ‘se lit l’histoire d’une amitié qui dura près de quarante ans et qui fut pour l’un et l’autre un des éléments essentiels de leur existence’. »

Giono, 1938 : « J’ai connu Lucien Jacques bien avant de la connaître. Je l’ai connu le jour où, pour la première fois, j’ai regardé le visage de la terre et je l’ai trouvé beau. »

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Lucien Jacques, Le sourcier de Giono, sous la direction de Jean François Chougnet, avec les contributions de Jean François Chougnet, Jacques Mény et Jacky Michel, Actes Sud, 2019, 128 pages – 100 illustrations

Site Actes Sud

Dans le cadre de l’Année Giono, cet ouvrage accompagne une exposition au Musée Regards de Provence à Marseille, du 30 octobre 2019 au 17 février 2020

Musée Regards de Provence

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Se procurer Lucien Jacques, Le sourcier de Giono

 

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