
« Bernard Plossu est un homme tellurique en quête d’une abolition de toute séparation avec le monde, dans la nostalgie des rochers, de la terre, des rivières, de la mer. La photographie est une tentative de reconquête de cet univers perdu, des retrouvailles avec ceux qui se pressent. Sentiment d’appartenance aux mouvements du monde. »
Auteur de plusieurs livres avec Bernard Plossu – Des millions d’années… La réserve géologique de Haute-Provence (Yellow Now), De Buffalo Bill à Automo Bill (Médiapop), A vélo (Médiapop) -, le sociologue David Le Breton connaît bien son sujet, son ami, son compagnon de voyage.

Son dernier ouvrage, Bernard Plossu, Marcher la photographie, est une très belle façon d’entrer dans l’œuvre d’un sage ayant toujours préféré les chemins de montagne aux dîners mondains, et la compagnie des Apaches de tous horizons à la fréquentation des stars festivalières.
On peut bien sûr regarder, contempler, détailler, scruter une photographie de Bernard Plossu, mais la marcher, l’arpenter, la considérer comme une possibilité de départ est bien mieux.
Il y a une liberté Plossu, qui est une croyance dans le monde et ses bienfaits, contre le démonde et ses aliénations.

Il faut pour cela une morale (sans moraline), un engagement dans le swing de l’existence, une amitié envers l’entièreté du créé.
Comme tout grand artiste, Bernard Plossu découvre ce qui est en l’inventant dans le boitier de son Nikkormat, qui est plus qu’un appareil de vision, un don de Dieu, ou une amulette.
Fils de montagnard émérite, copain de cordée de Frison-Roche, l’auteur du séminal Voyage mexicain (1979) a su très tôt se dégager du cauchemar climatisé – Henry Miller fut son ami -, pour les solitudes du désert, la vie en CinémaScope, jusque dans le minuscule, et les territoires où l’air est un stupéfiant.

Il est mexicain, américain (San Francisco, Big Sur, Taos, Santa Fe, Albuquerque), italien, espagnol, grec, marocain, égyptien, indien, et surtout de partout où la vie palpite à fond.
Il est des vastes panoramas (abordés de préférence en 50mm) et des cailloux, des étendues considérables et des câbles électriques, des grandes lumières et des ombres, du Sud (bien sûr), mais aussi du Nord (évidemment).
La photographie de Bernard Plossu est d’abord un corps, puissant, agile, et discret, au service d’un œil constamment éveillé, curieux, amusé.

« C’est une autre connivence avec Bernard Plossu, écrit son ami, ce refus de saturer une image de sens, de grandiloquence pour la forcer à témoigner. Ses photos prennent acte de l’inachèvement du monde, de son tremblé, de ses ambivalences. »
Il y a une souveraineté Plossu, qui est une intensité de calme et de silence, une respiration cherchant l’accord entre les espaces du dedans et ceux du dehors, entre les veinules, les ventricules, les canaux d’énergie, et les ciels, les visages, les dieux des petits riens.
Marcher la photographie, c’est comprendre que tout est passage, et qu’une photographie réussie est d’abord une messagère.

Ses images fixes sont des images nomades, solitaires et fraternelles.
Marcher/photographier, c’est se rendre disponible, s’arracher, se métamorphoser, se retrouver, entrer en relation, expérimenter la gravité dans la légèreté, et la légèreté dans la gravité.
« Il laisse venir les choses pour être atteint par elles. Il cite souvent cette phrase du peintre Camille Corot dont il admire la simplicité : « Il ne faut pas chercher mais attendre. » Il a souvent affirmé son désir de sobriété, et son refus de l’excès, de la surcharge, de l’émotion, convaincu par ailleurs qu’un beau paysage ne donne pas nécessairement lieu à une belle photo. »
Etre pleinement là, dans le vide, transparent et dense.

La photographie selon Plossu n’est pas une pratique de capture, mais de dépouillement, une ascèse, une recherche d’harmonie dans le vif et la pudeur.
Ne pas enfermer, mais traverser, laisser passer, ouvrir les cages et les vitres (des voitures, des bus, des trains).
« Chez Bernard PLossu, écrit excellemment David Le Breton, il n’y a jamais ou rarement une appropriation de l’objet photographié, il va son chemin et saisit les images au vol, sans prendre la pose et sans donner de son temps, aucune relation de pouvoir donc mais plutôt de frôlement, de caresse, d’amitié. Un accompagnement qui ne pèse pas, juste une série de regards. »
Ne pas soulever la poussière, glisser, danser, se déplacer sans faire de bruit, comme une Japonaise dans un récit de Nicolas Bouvier.
C’est la touche juste, « à l’Américaine », dirait Kerouac.

« Les photos traduisent souvent une nostalgie du présent, une tentative d’arrêter le flux incessant du temps de l’existence sur un moment heureux, paisible, serein et beau. Une saisie de l’ambiance de certaines rues, de quartiers, de villes, de paysages. Un amour de la pluie, du soleil, des pierres, des arbres, des oiseaux, mais tout autant des hommes ou des femmes, de sublimes photos de sa compagne Françoise, de ses enfants, Shane, Joaquim et Manuela. »
Ce petit pan de mur gris là ? Le plus bel endroit du monde.
Cette chaise abandonnée ? Une île enchantée.
Ce caillou ? Une utopie concrète.
Le hasard un jour vous guide vers cette route, cette maison, ce bosquet, cet enfant inconnu. Faites-lui confiance, il vous connaît mieux que vous-même et ne saurait vous tromper si vous l’acceptez le cœur ouvert.
Il y a des lieux chargés de pouvoirs mystérieux, mais il n’est pas sûr, Bernard Plossu nous le montre sans cesse, qu’il faille forcément aller les chercher très loin.
Fermer la porte – mais pas à clef -, sortir, marcher, photographier, tout est là, sans reste, absolument.
David Le Breton, Bernard Plossu, Marcher la photographie, Médiapop Editions, 2019, 112 pages

Exposition Globe-trotteurs – Bernard Plossu, Thomas Chable, Serge Clément, Jacques Damez – à la galerie Le Réverbère (Lyon), du 7 février au 30 avril 2020
Pour toi, mon poteau !
Mimi
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